Par un jugement rendu le 10 mai 2024 (TA Caen, 10 mai 2024, req. n° 2102106), les juges du tribunal administratif de Caen ont fait une application détaillée du contrôle juridictionnel sur les refus de titularisation pour insuffisance professionnelle.
En l’espèce, un agent territorial, adjoint technique principal chargé d’intervenir en entretien et réparation du matériel municipal (notamment électricité et plomberie), a été licencié en fin de stage au titre de son insuffisance professionnelle. Pour se faire, la commune s’est fondée sur une « insuffisance caractérisée des connaissances pratiques en rapport avec les tâches demandées », des qualités manuelles insuffisantes de l’agent, un manque de connaissance dans le secteur concerné et une mauvaise attitude vis-à-vis de ses collègues et de sa hiérarchie.
En outre, certains de ces manquements avaient fait préalablement l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires pendant la période de stage. C’est notamment sur ce point que l’agent licencié a contesté le licenciement. En effet, ce dernier considérait que l’administration ne pouvait fonder sa décision de licenciement pour insuffisance professionnelle sur des faits caractérisant une faute disciplinaire lesquels avaient déjà fait l’objet de sanctions. Il faisait ainsi appel au principe selon lequel un agent public ne peut être sanctionné plusieurs fois pour les mêmes faits.
Le fonctionnaire stagiaire concerné a donc introduit un recours à l’encontre de ce refus, considérant ce dernier comme un licenciement illégal.
Les juges dans ce jugement avaient donc à tâche de répondre à la question de savoir si le refus de titularisation d’un agent stagiaire pour insuffisance professionnelle peut se fonder sur des comportements de nature à caractériser une faute disciplinaire.
La nécessaire distinction entre insuffisance professionnelle et faute disciplinaire
Tel que le prévoit l’article L. 327-1 du code général de la fonction publique, les personnes qui sont recrutées dans la fonction publique se doivent d’accomplir une période probatoire dite de « stage » à l’issue de laquelle l’administration pourra décider de titulariser l’agent.
Aux termes de l’article 5 du décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale :
« Le fonctionnaire territorial stagiaire peut être licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu'il est en stage depuis un temps au moins égal à la moitié de la durée normale du stage. »
Ainsi, l’agent public ayant la qualité de stagiaire se trouve dans une situation provisoire dont la titularisation sera fondée sur l’appréciation portée par l’autorité compétente. Cette dernière se fondera sur l’aptitude de l’agent à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir (Conseil d’État, sect, Mme Mansuy, 3 décembre 2003, req. n° 236485).
De même, il est de jurisprudence constante que l’insuffisance professionnelle se distingue de la faute disciplinaire (CE, 25 octobre 1946, Colin Lebon, req n° 246). Le licenciement pour insuffisance professionnelle est donc une mesure administrative qui met fin aux fonctions de l’agent pour des motifs qui ne sont pas disciplinaires.
Il en résulte alors une difficulté lorsque le comportement du fonctionnaire stagiaire licencié peut être appréhendé tout à la fois sous l’aspect de l’insuffisance professionnelle et de la faute disciplinaire. C’est la situation dans laquelle se trouvait l’agent dans l’affaire qui nous intéresse.
Si l’insuffisance professionnelle repose sur l’appréciation de la manière de servir et l’aptitude de l’agent à exercer les fonctions de son grade, la faute disciplinaire implique la caractérisation précise de manquements entrainant des troubles du service et supposant le suivi d’une procédure disciplinaire.
Pour répondre à cette situation, le tribunal administratif de Caen a apprécié la légalité du licenciement en se basant sur le raisonnement apporté par un arrêt du Conseil d’État dit Commune de Marmande (Conseil d’État, 24 février 2020, req. n° 421291, mentionné aux tables du recueil Lebon). Reprenant le même considérant de principe que la juridiction suprême, le tribunal a rappelé que :
« L’autorité compétente ne peut donc prendre légalement une décision de refus de titularisation, qui n’est soumises qu’aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements, que si les faits qu’elle retient caractérisent des insuffisances dans l’exercice des fonctions et la manière de servir de l’intéressé.
Cependant, la circonstance que tout ou partie de tels faits seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l’autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu que l’intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations ».
Il en résulte alors que lorsque le juge est saisi, il se doit de vérifier que la décision de refus de titularisation ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu’elle ne soit pas entachée d’une erreur de droit ou manifeste dans l’appréciation de l’insuffisance professionnelle de l’intéressé et qu’elle ne revêt pas le caractère d’une sanction disciplinaire.
À la lecture de cet arrêt, il est donc explicité que l’employeur peut licencier pour insuffisance professionnelle un fonctionnaire stagiaire dont les agissements peuvent tout à la fois caractériser une insuffisance professionnelle et une faute disciplinaire. En revanche, il ne faut pas que le licenciement revête en réalité le caractère de sanction disciplinaire. Bien que cette dernière puisse mener également au licenciement aux termes de l’article L. 327-4 du code général de la fonction publique, elle suit une procédure et une justification juridique différente.
Une illustration détaillée du contrôle de l’insuffisance professionnelle
Le tribunal administratif de Caen a jugé que malgré le caractère fautif de certains actes ayant pu entrainer une sanction par l’administration, cette dernière pouvait de nouveau prendre en considération ces actes pour caractériser l’insuffisance professionnelle. Le tribunal a dans ce cas contrôlé l’erreur manifeste d’appréciation du licenciement en fin de stage.
Pour se faire, les juges caennais ont mené un raisonnement structuré afin de démontrer en quoi les agissements ayant été caractérisé des fautes disciplinaires pouvaient être interprétés dans une approche différente caractérisant une insuffisance.
L’intérêt de ce jugement réside donc dans la volonté pédagogique apparente des juges qui ont mené un raisonnement en trois temps pour motiver leur décision. S’ils ont d’abord relevé les faits objectifs ayant servi à fonder l’insuffisance professionnelle, les juges ont ensuite mené un raisonnement démontrant que les faits reprochés avaient une incidence sur la manière de servir de l’agent et non un caractère de sanction disciplinaire pour en conclure que :
« Dans ces conditions, l’autorité administrative n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en regardant les faits qui ont fondé la décision en litige comme révélant de la part de l’intéressé une insuffisance professionnelle. »
Pour y parvenir, les juges ont d’abord recherché si les éléments de faits étaient objectifs et matériellement établis. Ils ont ainsi regroupé les faits reprochés relevés dans le rapport de non-titularisation en trois catégories de faits pour lesquels certains d’entre eux revêtaient une nature disciplinaire. On peut relever succinctement :
Des incompétences techniques par la non-réalisation de travaux ou dans des délais excessifs ainsi qu’un comportement irrespectueux vis-à-vis du travail des autres agents ;
L’attitude de l’agent vis-à-vis de ses collègues et de sa hiérarchie, de nombreuses insultes ayant été signalées ;
Des difficultés à respecter les consignes et rendre compte de ses activités.
Une fois la matérialité des faits démontrée, les juges se sont assurés que le licenciement ne revêtait pas le caractère d’une sanction disciplinaire. Ainsi, le jugement fait état que l’administration ne s’est pas fondée sur le car