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Photo du rédacteurRachel Lemoine

La carence de contrôle des supérieurs hiérarchiques n'exonère pas l'agent de ses propres manquements

Par un arrêt rendu le 2 mai dernier, la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 2 mai 2024, req. n° 21BX04274) a exposé qu’une chargée de la communication digitale ne pouvait se prévaloir de la carence de contrôle de ses supérieurs hiérarchiques pour s’exonérer de sa responsabilité en raison de la publication de messages au contenu polémique sur les réseaux sociaux de son administration.

 

 

Madame A., agent contractuel de droit public de la chambre de commerce et d’industrie (ci-après CCI) de la région Nouvelle-Aquitaine, exerçait les fonctions de responsable de la mission « technologie de l’information et de la communication » et chargée de la communication digitale.

 

Par une décision du 17 décembre 2019, la CCI de la région Nouvelle-Aquitaine a suspendu Madame A de ses fonctions après avoir découvert l’existence de plusieurs messages polémiques publiés par Madame A. sur le réseau social X (anciennement Twitter) sur le compte « mission numérique 57 » ouvert par la requérante dans le cadre de sa mission de communication.

 

Une procédure disciplinaire a ensuite été engagée à son encontre, et le conseil de discipline saisi de l’affaire a émis, le 5 février 2020, un avis favorable au prononcé d’une révocation à l’encontre de Madame A.

 

La CCI a fait le choix de suivre l’avis rendu par l’instance de consultation, et a donc notifié à Madame A. une décision du 21 février 2020 portant révocation sur le fondement des dispositions de l’article 36 du statut du personnel des chambres de commerce et d’industrie annexé à l’arrêté du 25 juillet 1997.

 

Madame A. a demandé l’annulation de ce recours devant le tribunal administratif de Bordeaux, mais qui, par un jugement n° 2002098 du 22 septembre 2021, a rejeté sa demande.

 

Madame A. a donc interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux, et la Cour est venu infirmer le jugement rendu par les juges de première instance, en répondant à deux questions successives :

  • D’une part, les faits reprochés à Madame A. sont-ils matériellement établis et de nature à justifier une sanction ?

  • D’autre part, la sanction de révocation infligée à Madame A. était-elle proportionnée aux fautes ainsi commises ?

 

 

Dans un premier temps, la Cour s’est donc penchée sur les faits ayant fondé la décision de révocation litigieuse, ainsi que sur les moyens développés par la requérante visant à s’exonérer de sa responsabilité en invoquant notamment un contexte social justifiant ses publications ou encore la carence de ses supérieurs hiérarchique dans leurs missions de contrôle à son égard, mais a considéré que :

Il ressort des pièces du dossier qu’au cours de la période du 3 février 2017 au 5 décembre 2018, et surtout à compter du mois de mai 2018, de nombreux messages au contenu polémique, comportant des opinions personnelles ou politiques, ont été publiés sur le compte « mission numérique 47 » que Mme A avait la responsabilité d’animer. (…) Alors que la plupart des messages sont sans lien avec les missions de la CCI, elle ne peut se prévaloir ni du contexte de contestation sociale, ni de la mobilisation à l’encontre de la réforme du réseau consulaire pour justifier leur diffusion. Elle ne peut davantage s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la carence de ses supérieurs hiérarchiques qui ne lui ont fait aucune remarque, alors que la circonstance que la CCI était abonnée au réseau social n’impliquait pas nécessairement qu’ils aient pris connaissance de ces messages.
Dans ces conditions, les faits qui sont reprochés à Mme A sont matériellement établis et de nature à justifier une sanction, sans qu’elle puisse invoquer ni une définition stricte du « réseau » mentionné dans la charte d’utilisation des systèmes d’information de 2009, laquelle s’appliquait aux « autres moyens de communication » incluant nécessairement les réseaux sociaux, ni l’absence d’indication dans cette charte qu’un manquement pourrait exposer les contrevenants aux recommandations de prudence pour préserver l’image de l’institution à des sanctions disciplinaires.

 

 

En d’autres termes, la Cour a considéré que la publication de nombreux messages au contenu polémique, comportant des opinions personnelles ou politiques, sur le compte du réseau social de son établissement qu’elle était chargée d’animer revêtait bien la qualification de faute disciplinaire.

 

Plus encore, la Cour a estimé qu’au regard des missions et des responsabilités d’une chargée de communication digitale, cette dernière ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité en invoquant au soutien de ses prétentions la carence de ses supérieurs hiérarchiques qui ne lui ont pas objecté une opposition à ses publications, puisque la simple circonstance que son établissement était abonné à cette page du réseau social, n’impliquait pas nécessairement qu’ils aient pris connaissance de ces messages ou aient eu la possibilité de contrôler leur contenu avant publication.

 

Il y a plusieurs années, le tribunal administratif de Nantes avait déjà pu considérer que même la carence manifeste des supérieurs hiérarchiques directs de l’agent n’était pas de nature à le décharger de ses propres responsabilités et d’annuler la sanction disciplinaire prise à son encontre au regard des fautes commises (TA Nantes, 31 décembre 2012, req. n° 0905821).

 

 

Dans un second temps, la Cour a rappelé que dans le cadre d’un contentieux disciplinaire, la juridiction administrative dispose, en qualité de juge de l’excès de pouvoir, de la possibilité d’effectuer un contrôle normal sur la proportionnalité de la sanction infligée à l’agent au regard des faits reprochés, conformément à la jurisprudence rendue par le Conseil d’État le 13 novembre 2012 (CE, 13 novembre 2013, req. n° 347704) :

Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

Sur ce fondement, la Cour a considéré que même si les manquements étaient établis, la sanction de révocation était disproportionnée au regard des faits reprochés et du parcours professionnel de la requérante, notamment compte tenu de l’ancienneté des faits reprochés :

Si la matérialité de ces faits est établie, l’autre manquement invoqué dans la décision, tiré de l’absence de mise à jour du site, n’est pas étayé par les pièces du dossier. Eu égard au fait que les évaluations de Mme A ont toujours été positives avant la découverte de ces messages et que l’intéressée n’avait jamais fait l’objet d’une sanction disciplinaire auparavant, et à la circonstance que la publication des messages litigieux avait cessé en décembre 2018, soit un an avant leur découverte, le président de la CCI de Nouvelle-Aquitaine a fait une inexacte application des dispositions précitées en infligeant à l’intéressée la sanction de révocation, qui est la sanction la plus lourde prévue par les dispositions du statut du personnel des chambres de commerce et d’industrie.

  


De ce constat, la juridiction administrative a donc fait droit à la demande d’annulation de la décision de révocation du 21 février 2020 présentée par Madame A., et a enjoint la CCI de la région Nouvelle-Aquitaine de réexaminer la situation de Madame A dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt.

 

Il est à noter que même en cas de recours devant le Conseil d’État, en l’absence d’effet suspensif de telles décisions, la CCI se devra donc de réévaluer la situation de son agent, puis de prendre à l’encontre de Madame A. une nouvelle décision de sanction, mais cette fois-ci proportionnée aux faits reprochés et au parcours professionnel de l’agent.