Par une décision du 18 juin 2024 (req. n° 463484, A, Publié au recueil Lebon), le Conseil d’État a jugé que la méconnaissance des garanties instituées tant par le droit de l’Union européenne que par le droit national s’agissant des durées maximales de travail et minimales de repos cause, par elle-même, un préjudice dont les intéressés peuvent demander la réparation.
Dans cette affaire, un agent a été recruté par contrat par la Métropole de Lyon par des contrats à durée déterminée successifs, entre les mois de novembre 2018 et de février 2020 pour exercer les fonctions d’agent éducatif au sein de l'institut départemental de l'enfance et de la famille.
L’agent a demandé la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de ses conditions d'emploi et du non-respect par son employeur de la réglementation relative au temps de travail et de repos. Le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Il s’est pourvu en cassation.
Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle que la question de l'aménagement du temps de travail fait l’objet d’une protection particulière par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 s’agissant notamment du repos journalier (article 3), du repos hebdomadaire (article 5) et de la durée maximale hebdomadaire de travail (article 6).
La situation juridique de l’agent est régie le décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
L’article 6 du décret du 4 janvier 2002 prévoit que :
la durée hebdomadaire de travail effectif (heures supplémentaires comprises) ne peut excéder 48 heures au cours d’une période de 7 jours ;
que les agents ont le droit à un repos quotidien de 12 heures consécutives minimum et d’un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives minimum ;
le nombre de jours de repos est fixé à 4 jours pour 2 semaines, deux d'entre eux, au moins, devant être consécutifs, dont un dimanche.
L’article 7 du même décret ajoute que qu’en cas de travail continu, la durée quotidienne de travail ne peut excéder 9 heures pour les équipes de jour, 10 heures pour les équipes de nuit, avec une dérogation possible jusqu’à 12 heures si la continuité du service public l’exige.
Dans un deuxième temps, le Conseil d’État, au regard de ces textes, consacre une présomption de préjudice en ce qui concerne la durée maximale de travail et minimale de repos :
« La méconnaissance des garanties instituées tant par le droit de l'Union européenne que par le droit national en matière de durée maximale journalière et hebdomadaire de travail et de durée minimale journalière et hebdomadaire de repos est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés en ce qu'elle les prive du repos auquel ils ont droit. Dès lors, cette méconnaissance leur cause, par elle-même et quelles que soient leurs conditions de rémunération, un préjudice dont ils peuvent demander la réparation, indépendamment de celle des autres préjudices qu'ils justifieraient avoir subis à raison de cette privation. (…) »
Par cette solution, le Conseil d’État aligne sa solution sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et celle de la Cour de cassation.
En 2010, la CJUE a elle-même consacré cette présomption en jugeant que :
« cette limite maximale en ce qui concerne la durée moyenne hebdomadaire de travail constitue une règle du droit social de l’Union revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale destinée à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé ». « Partant, le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique. » (CJUE, 25 novembre 2010, Günther Fuß, aff. C-429/09).
En 2021, dans un arrêt très récent du 15 juillet 2021, la CJUE a rappelé que :
« les dispositions de la directive 2003/88 précisent le droit fondamental à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire expressément consacré à l’article 31 paragraphe 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et doivent, dès lors, être interprétées à la lumière de ce dernier » (CJUE, 15 juillet 2021, C-742/19).
En 2022, la Cour de cassation juge à son tour que :
« le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation » en se fondant expressément à la décision de la CJUE de 2010 précitée, (Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-21.636., Bull. soc.).
Il doit être souligné que dans une décision de Absalon de 2020, le Conseil d’État avait déjà avancé, en des termes moins appuyés que :
« Le dépassement de la durée maximale de travail prévue tant par le droit de l'Union européenne que par le droit national est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés en ce qu'il les prive du repos auquel ils ont droit et peut leur causer, de ce seul fait, un préjudice indépendamment de leurs conditions de rémunération ou d'hébergement » (CE, 13 novembre 2020, M. Absalon, n° 430378, T. pp. 620-799).
En revanche, le Conseil d’État refuse de consacrer une présomption de préjudice en cas de méconnaissance dès règles relatives au jour de repos hebdomadaire (repos dominical) :
« Tel n'est pas le cas, en revanche, de l'exigence relative au repos dominical, dont la méconnaissance n'ouvre droit qu'à réparation des seuls préjudices dont l'intéressé établit qu'ils en ont résulté pour lui. »
Cette différence d’appréciation repose sur la circonstance qu’il ne lui est pas reconnu de garantie particulière. Dès lors, un agent qui souhaite obtenir la réparation de son préjudice tiré de de la méconnaissance de son droit au repos dominical doit obligatoirement l’établir.
Dans un troisième temps, le Conseil d’État confronte les principes évoqués à la situation du requérant.
D’une part, le Conseil d’État relève qu'entre juin 2019 et février 2020, l’agent avait dû reprendre à cinq reprises son service à 6h45 après n'avoir bénéficié que d'un repos d'une durée comprise entre 9h30 et 10 heures. Ainsi la durée de repos quotidienne de l’agent a été inférieure à la durée minimale de 12 heures prévue par le 3e alinéa de l’article 6 du décret de 2002.
Entre janvier 2019 et février 2020, l’agent avait travailler à douze reprises pendant une durée excédant en moyenne de deux heures la durée quotidienne de travail maximale de 12 heures. Compte tenu du constat de ces manquement, non contestés, par la collectivité, l’agent était fondé à demander l’indemnisation de son préjudice. En rejetant la demande de réparation du préjudice les juges de première instance ont ainsi commis une erreur de droit. Le Conseil d’État ajoute que la circonstance que la Métropole de Lyon l’ait « dédommagé » par le paiement d’heures supplémentaires ne fait pas obstacle à l’existence d’un préjudice et ne porte pas atteinte à son droit à réparation droit à sa réparation.
D’autre part, le Conseil d’État relève que l’agent a effet travaillé durant le week-end pendant trois semaines consécutives au mois de janvier 2019, alors qu’il aurait dû avoir, sur cette période, au moins un dimanche de repos, suivi ou précédé d’un autre jour de repos.
Toutefois, et contrairement aux règles relatives à la durée minimale de repos hebdomadaire, dont le seul constat du manquement conduit à présumer un préjudice, l’agent n’établissait pas de préjudice personnel né de la privation de son repos dominical. En rejetant la demande de réparation, les juges de première instance n’ont pas commis d’erreur de droit.
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