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L’influence des poursuites pénales sur le déroulement de la procédure disciplinaire engagée à l’encontre de l’agent public

  • Photo du rédacteur: Rachel Lemoine
    Rachel Lemoine
  • 14 oct.
  • 10 min de lecture

La coexistence d’une procédure disciplinaire et de poursuites pénales à l’encontre d’un agent public soulève une question délicate : celle de l’articulation entre deux ordres de responsabilité — administrative et pénale — gouvernés par des logiques et des finalités distinctes.

 

Si, en principe, ces procédures sont autonomes et peuvent être menées simultanément, il n’en demeure pas moins que les poursuites pénales exercent parfois une influence directe sur le déroulement de la procédure disciplinaire.

 

Cette influence se manifeste à plusieurs niveaux :

 

  • sur le délai de prescription de l’action disciplinaire, dont le cours peut être interrompu pendant la procédure pénale ;


  • sur la suspension de fonctions de l’agent, susceptible d’être prolongée pour des motifs tenant à l’intérêt du service ou aux mesures judiciaires ;


  • enfin, sur le pouvoir de sanction de l’administration, limité par le principe de l’autorité de la chose jugée lorsque la matérialité des faits est écartée par le juge pénal.

 


À travers une analyse des textes du Code général de la fonction publique et d’une jurisprudence administrative récente, notamment un arrêt du Conseil d’État du 24 juin 2025 (req. n° 476387, Rec. Lebon), il est possible de mieux cerner les interactions entre ces deux sphères du droit et leurs conséquences pratiques sur la gestion disciplinaire des agents publics.

 

 

1 – Sur la séparation de principe de la procédure administrative et pénale  

 

En principe, les procédures disciplinaires engagées par une administration à l’encontre d’un agent, et la procédure pénale qui peut être engagée à l’encontre de ce même agent sont autonomes l’une de l’autre, et n’ont pas vocation à être articulées. 

 

En effet, l’article L. 530-1 du code général de la fonction publique prévoit que :

« Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. Les dispositions de cet article sont applicables aux agents contractuels. »

 

Il résulte de ces dispositions que l’agent ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire n’est pas automatiquement condamné pénalement, et inversement.

 

La deuxième conséquence de cette séparation stricte, et qu’un agent peut être sanctionné disciplinairement et pénalement, sans que ces sanctions de nature différente porte atteinte au principe de principe « non bis in idem ».

 

En effet, pour le conseil d’État, peut être infligé, à raison des mêmes faits, une sanction pénale et une sanction administrative ou professionnelle « dès lors que l’institution de chacun de ces types de sanctions repose sur un objet différent et tend à assurer la sauvegarde de valeurs ou d’intérêts qui ne se confondent pas » (CE, avis, 29 avril 2004, req. n° 370136).

 

Toutefois, il convient de constater que ces deux procédures ne sont pas entièrement hermétiques l’une de l’autre.

 

En effet, si un agent fait l’objet de poursuites pénales, cette circonstance peut entrainer des conséquences dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée à son encontre par son administration.

 

Il est ici nécessaire de rappeler que l’on entend, par « poursuites pénales », toute mise en mouvement de l'action publique, désignant l'ensemble des actes de la procédure pour l'application de la peine depuis l'ouverture d'une information jusqu'à l'extinction de l'action publique (ouverture d'une information judiciaire, citation de l'agent devant le tribunal, convocation, plainte de la victime avec constitution de partie civile...). L'action publique n'est cependant pas considérée comme étant mise en mouvement si l'agent a simplement fait l'objet d'un dépôt de plainte ou de l'ouverture d'une enquête préliminaire par exemple (question écrite AN n°93579 du 9 mai 2006).

 

Ainsi, l’engagement de poursuites pénales et la mise en mouvement de l’action publique peut venir influer l’administration dans le cadre de la procédure disciplinaire qu’elle souhaite mettre en œuvre à l’encontre de son agent.

 

Les poursuites pénales peuvent en effet influer sur le délai de prescription des poursuites disciplinaires (2), sur la procédure de suspension de fonctions de l’agent (3), et sur la possibilité même de sanctionner un agent si les faits ne sont pas considérés comme matérialisés par le juge pénal (4).

 

 

2 - Les conséquences sur le délai de prescription

 

En principe, l’administration dispose d’un délai de 3 ans à compter de sa connaissance des faits pour sanctionner disciplinairement un agent pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions.

 

L’article L. 532-2 du code général de la fonction publique prévoit en ce sens que :

« Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où l’administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits passibles de sanction. »

 

Toutefois, le même article prévoit une exception en cas de poursuites pénales :

« En cas de poursuites pénales exercées à l’encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu’à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d’acquittement, de relaxe ou de condamnation. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l’encontre de l’agent avant l’expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d’une procédure disciplinaire ».

 

En d’autres termes, si des poursuites pénales sont exercées à l’encontre d’un agent public, le délai de prescription de 3 ans est interrompu jusqu’à ce que la décision pénale soit définitivement rendue.

 

Dans un très récent arrêt rendu par le Conseil d’État publié au recueil Lebon (CE, 24 juin 2025, req. n° 476387, Recueil Lebon), la haute juridiction administrative a précisé les conditions d’application de cette dérogation au délai de 3 ans :

« 3. Il résulte de ces dispositions que le délai entre la date à laquelle l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur de faits passibles de sanction imputables à un fonctionnaire et la date où ce dernier est régulièrement avisé de l'engagement à son encontre d'une procédure disciplinaire ne peut excéder trois ans. Toutefois, quand des poursuites pénales viennent à être exercées à l'encontre du fonctionnaire après que ce délai a commencé à courir, ou quand de telles poursuites sont déjà en cours quand il commence à courir, le délai est interrompu jusqu'à l'intervention d'une décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d'acquittement, de relaxe ou de condamnation. Doit être regardée comme une décision pénale définitive au sens de ces dispositions une décision devenue irrévocable. Le délai de prescription recommence à courir pour trois ans à compter de la date à laquelle le caractère irrévocable de la décision est acquis, sans qu'ait d'incidence la date à laquelle l'administration prend connaissance de cette décision. En revanche, quand l'administration n'avait aucune connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits jusqu'à ce qu'elle découvre l'existence d'une condamnation définitive, c'est la date à laquelle l'administration est informée de cette condamnation qui constitue le point de départ du délai de trois ans. »

 

Il ressort de cet arrêt que si l’administration n’a pas eu de connaissance effective des faits que le jour où elle prend connaissance de la décision définitive rendu par la juridiction pénale, le délai de prescription de l’action disciplinaire commence à courir à compter de la connaissance effective de la condamnation définitive de son agent.

 

 

3 - Les conséquences sur la suspension de fonctions

 

L’engagement d’une procédure pénale à l’encontre d’un agent offre aussi la possibilité à l’administration de faire le choix de prolonger la suspension de fonctions de l’agent au-delà des quatre mois prévus à l’article L. 531-1 du code général de la fonction publique.

 

L'article L. 531-2 du code général de la fonction publique prévoit en effet que : 

« Si, à l'expiration du délai mentionné à l'article L. 531-1, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. Le fonctionnaire qui fait l'objet de poursuites pénales est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai sauf si les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service y font obstacle. »

 

Cet article prévoit donc deux possibilités pour l’administration de déroger au 4 mois de suspension maximum lorsque l’agent fait l’objet de poursuites pénales, à savoir

  • Si les mesures engagées dans le cadre de procédure pénale font obstacle à sa réintégration,

  • Si l’intérêt du service fait obstacle à sa réintégration.

 

Cette prolongation de la durée doit être prise par l’administration par une décision motivée sur un de ces deux fondements.

 

L’article L. 531-3 du code général de la fonction publique prévoit en ce sens que :

« Lorsque, sur décision motivée, le fonctionnaire n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations.L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. »

 

Surtout, cet article prévoit des alternatives à la réintégration de l’agent sur son poste. L’administration peut alors fait le choix de le changer provisoirement d’affectation, ou de mettre en place une procédure de détachement d’office provisoire.

 

Mais il apparaît que ces dispositions ne font que proposer des alternatives, qui ne sont pas obligatoires : l’administration dispose aussi de la possibilité de simplement maintenir la suspension de son agent à titre provisoire.

 

L'article L. 531-4 prévoit en effet que :

« Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n’est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au second alinéa de l’article L. 531-1. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille »

 

L’administration peut donc maintenir son agent en suspension à titre conservatoire, dans l’attente du verdict qui sera rendu par la juridiction pénale saisie.

 

Il convient cependant de préciser que si l'administration choisit de différer sa décision de sanction en maintenant l'agent en suspension, devra être tenu compte, dans le choix de la sanction, non seulement de la nature et de la gravité des faits, mais aussi de la situation d'ensemble de l'agent à la date de sa décision, compte tenu des éléments recueillis, des expertises ordonnées et des constatations faites par le juge. Concrètement, cela signifie que les faits postérieurs à ceux sanctionnés, notamment la potentielle amélioration du comportement de l’agent, soient aussi pris en compte dans le choix de la sanction (CE, 27 juillet 2009, req. n°313588 ; CAA de Douai, 25 juin 2008, req. n°07DA00142). 

 

 

4 - Sur l’application du principe de l’autorité de la chose jugée

 

Quand bien même les procédures pénales et administratives sont indépendantes, l’administration qui poursuit disciplinairement son agent est tenue par le principe de l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne la constatation de la matérialité des faits.

 

En ce sens, les dispositions de l’article L. 531-5 du même code prévoient que si les poursuites pénales sont abandonnées en l’absence de constatation de la matérialité des faits, l’administration devra donc rétablir l’agent suspendu dans ses fonctions :

« En cas de non-lieu, relaxe, acquittement ou mise hors de cause, l'autorité hiérarchique procède au rétablissement dans ses fonctions du fonctionnaire ».

 

En outre, si le juge pénal considère que les faits reprochés à l’agent ne sont pas matérialisés, alors l’administration ne pourra sanctionner l’agent sur ces mêmes faits.

 

Par voie de conséquence, si un agent a été sanctionné disciplinairement par son administration, et que le juge pénal remet a posteriori en doute la matérialité des faits, alors l’agent ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire peut solliciter un réexamen de sa situation :

« Considérant que la personne qui a fait l'objet d'une sanction disciplinaire a droit à ce que sa situation soit réexaminée en vue, notamment, de sa réintégration dans son grade, lorsque les faits qui ont motivé la sanction et qui avaient fait l'objet de poursuites pénales ont donné lieu à un jugement de relaxe » (CE, 6 décembre 2002, req. n° 237518).

 

Toutefois, le principe de l'autorité de la chose jugée ne portant que sur la constatation matérielle des faits, il ne peut s’appliquer aux simples motifs de la condamnation.

 

Par application de ce principe, l’administration disposant du pouvoir disciplinaire n'est pas tenue par un jugement définitif venant amoindrir une peine prononcée à l'encontre d’un agent pour déterminer de sa sanction disciplinaire :

« 2. L'autorité de la chose jugée s'attachant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité, ni, en principe, à ceux d'un jugement de condamnation procédant à la qualification juridique des faits poursuivis, ou de la peine qu'il inflige » (CE, 27 septembre 2024, req. n°488978).

 

L’administration est aussi liée à la décision pénale définitive, si elle condamne l’agent à certaines peines incompatibles à l’exercice de son emploi public.

 

En effet, certaines condamnations pénales entraînent la radiation immédiate de l’agent, sans qu’il soit nécessaire pour l’administration de réaliser une procédure disciplinaire.

 

L’article L. 550-1 du code général de la fonction publique prévoit en ce sens que :

« La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte : (…) 6° De la perte de la nationalité française, sous réserve des dispositions de l'article L. 321-2 ; 7° De la déchéance des droits civiques ; 8° De l'interdiction par décision de justice d'exercer un emploi public. »

Le même article prévoit cependant que l’agent faisant l’objet d’une de ces condamnations peut, à l’échéance de sa sanction, solliciter sa réintégration dans son emploi auprès de son ancienne administration :

« Le fonctionnaire peut solliciter sa réintégration auprès de l'autorité ayant pouvoir de nomination, qui recueille l'avis de la commission administrative paritaire, s'il est réintégré dans la nationalité française ou à l'expiration de la période de privation de ses droits civiques ou d'interdiction d'exercer un emploi public. »

 

Si le principe demeure celui de l’autonomie des procédures pénale et disciplinaire, la pratique révèle une imbrication croissante entre ces deux régimes de responsabilité.

L’existence de poursuites pénales à l’encontre d’un agent public n’interdit pas à l’administration d’engager ou de poursuivre une procédure disciplinaire, mais elle en modifie substantiellement les conditions d’exercice.

 

Ces interférences invitent les autorités disciplinaires à une grande prudence dans la conduite de la procédure, afin de concilier la préservation de l’intérêt du service avec le respect des droits de la défense et du principe de présomption d’innocence.

 

Plus largement, la jurisprudence la plus récente — notamment celle du Conseil d’État du 24 juin 2025 (req. n° 476387) — confirme que le juge administratif veille à ce que la procédure disciplinaire ne devienne pas un moyen détourné de contourner les garanties offertes par la procédure pénale.

 

Ainsi, loin d’être totalement hermétiques, les deux ordres de responsabilité forment aujourd’hui un équilibre subtil entre indépendance institutionnelle et cohérence juridique, au service de la bonne administration et de la justice disciplinaire.

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