Par une décision du 22 décembre 2023 (CE, 15 février 2024, req. n° 462435, Lebon T.), le Conseil d’État a jugé qu’un sapeur-pompier volontaire ne pouvait pas prétendre au bénéfice de la protection fonctionnelle en raison du vol de son véhicule personnel et de son matériel photographique sur les lieux et heures du service s’il n’apparaît pas que l’auteur du vol aurait eu la volonté de lui porter atteinte en sa qualité d’agent public.
Monsieur B. est sapeur-pompier volontaire au sein du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de la Martinique.
Dans la nuit du 20 au 21 mars 2017, des individus se sont introduits dans les locaux du centre de secours et ont dérobé de nombreuses affaires personnelles des agents, dont la clé du véhicule de Monsieur B. et son matériel photographique. La voiture de l’agent, stationnée aux abords du centre, a ensuite été volée.
Monsieur B. a, par la suite, sollicité du SDIS l’indemnisation des préjudices matériel et moral qu’il estime avoir subis en raison de ce vol, pour un montant de 15 000 euros.
Le SDIS ayant rejeté la demande de Monsieur B., ce dernier a saisi le tribunal administratif de la Martinique d’une demande tendant à l’indemnisation de ses préjudices. Le tribunal administratif a rejeté sa demande, tout comme la Cour administrative d’appel de Bordeaux après lui.
Monsieur B s’est donc pourvu en cassation devant le Conseil d’État.
La question posée au Conseil d’État était ainsi relativement simple : un sapeur-pompier volontaire, victime d’un vol d’effets personnels à l’occasion de ses fonctions, peut-il solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle ?
Dans un premier temps de son raisonnement, sur le fondement des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors applicable et de l’article L.113-1 du code de la sécurité intérieure, les sapeurs-pompiers volontaires peuvent bénéficier de la protection fonctionnelle :
3. Ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des sapeurs-pompiers volontaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion ou du fait de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. (…)
Dans un deuxième temps, la Haute juridiction, rappelle que le champ de la protection fonctionnelle s’étant également aux atteintes aux biens, atteintes pouvant par exemple résulter de faits de vol :
(…) Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent concerné est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis, y compris ceux résultant d'une atteinte portée à ses biens.
Le troisième temps du raisonnement va soulever davantage de difficultés pour le requérant. En effet, le Conseil d’État indique que la protection fonctionnelle ne serait due que si l’atteinte aux biens litigieuse a été subie en raison de la qualité de sapeur-pompier volontaire, et plus largement d’agent public de l’intéressé :
(…) Cette protection n’est due, cependant, que lorsque les agissements concernés visent l’agent concerné à raison de sa qualité d’agent public.
Cet élément relatif aux atteintes aux biens semble n’avoir jamais été précisé de la sorte par la jurisprudence.
Un tel raisonnement n’avait pas été utilisé par le juge administratif depuis plusieurs décennies, lorsqu’il avait confirmé la recevabilité et le bien-fondé de la demande d’indemnisation d’un magistrat exerçant les fonctions de substitut du procureur de la République à Alger, ayant fait l’objet d’un pillage de son appartement et d’une spoliation de ses biens quelques semaines après le terme de la Guerre d’Algérie en 1962 :
Cons. Qu’il resulte de l’instruction que c’est en raison des fonctions de commissaire du gouvernement pres le tribunal militaire de tizi-ouzou, puis de substitut du procureur de la republique a alger que le sieur x… a successivement exercees, que le mobilier de l’interesse a ete pille en aout 1962 a alger et que l’appartement qu’il occupait dans cette ville a fait l’objet d’une spoliation ; qu’a defaut d’avoir pu obtenir des autorites algeriennes reparation de ces prejudices dans les conditions prevues au protocole judiciaire, le requerant est fonde a demander cette reparation a l’etat francais ; (CE Ass., 6 novembre 1968, Benejam, req.n° 70282, Publié au recueil Lebon p. 545).
En l’espèce, nonobstant le lieu, la temporalité et les circonstances du vol, le Conseil d’État va refuser le bénéfice la protection fonctionnelle au requérant au motif d’une absence de lien entre les fonctions exercées et le vol commis :
4. Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le vol du véhicule personnel et du matériel photographique de M. B... résulterait d'une volonté de lui porter atteinte en sa qualité de sapeur-pompier volontaire, quand bien même ce vol a été commis sur les lieux du service et pendant les heures de service de M. B ... .
Il en ressort donc que Monsieur B. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt en tant qu’il statue sur ce chef de préjudice, les faits en cause n’étant pas de nature à ouvrir droit au bénéfice de la protection fonctionnelle.
En pratique, cette analyse des faits de l’espèce interroge à double titre :
D’une part, comment être en capacité de prouver qu’une infraction pénale a été perpétrée en raison de la qualité d’agent public de la victime, surtout lorsque les auteurs n’ont pas été identifiés et n’ont pas expliqué leur geste ?
D’autre part, comment considérer que le lien avec la qualité d’agent public est à exclure lorsque l’infraction a nécessité que son auteur se rende jusque dans le vestiaire professionnel de l’agent ? S’il n’est pas possible de sonder l’auteur pour vérifier que le vol est motivé par la qualité de sapeur-pompier de l’agent, cette qualité ne lui était pas inconnue. De ce fait, l’absence de protection peut sembler d’autant plus surprenante.
Une catégorie d’agents publics subit régulièrement ce raisonnement : les représentants du personnel. En de multiples occasions, ces derniers se sont vu refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle dès lors que les injures, diffamations ou attaques subies l’avaient été en raison de leurs fonctions syndicales et non de leurs fonctions d’agents publics :
Ainsi, quand bien même l’altercation avec des collègues membres d’une autre organisation syndicale est survenue sur les lieux où se tenaient les élections organisées par l’administration, l’agression au titre de laquelle M. B… a sollicité la protection fonctionnelle constitue un évènement survenu à l’occasion de l’accomplissement de fonctions syndicales et n’est, dès lors, pas rattachable à l’exercice de ses fonctions d’agent public. Par suite, la CIREST est fondée à soutenir que le tribunal administratif de La Réunion ne pouvait accueillir le moyen tiré de l’inexacte application de la loi pour annuler la décision contestée portant refus de protection fonctionnelle. (CAA Bordeaux, 20 juin 2023, req. n° 21BX02147)
Il ressort des pièces du dossier que le contenu des propos tenus par M. E lors de cette interview était une prise de position syndicale, à caractère polémique, effectuée au nom et pour le compte de son syndicat, organisme privé, et sans relation avec l’exercice de ses fonctions. (CAA Bordeaux, 25 avril 2022, req. n° 20BX00361)
8. D’autre part, il résulte de ces dispositions qu’une collectivité publique doit accorder la protection fonctionnelle à l’agent public qui en revendique le bénéfice lorsqu’il fait l’objet d’attaques qui sont en lien avec l’exercice de ses fonctions et qui ne constituent pas une faute personnelle de l’agent. En revanche, n’ouvrent pas droit à cette protection les faits qui découlent du comportement d’un agent en sa qualité de représentant du personnel. (CAA Toulouse, 13 décembre 2022, req. n° 20TL20669)
Là aussi le refus de protection fonctionnelle interroge dès lors que la qualité de représentant syndical n’est possible que pour un agent public exerçant ses fonctions au sein de la collectivité ou de l’établissement concerné.
S’ils étaient poussés à l’extrême, ces raisonnements pourraient s’avérer contre-productifs : quelle agression sexuelle est liée à la qualité de fonctionnaire de sa victime ? Faudrait-il sonder l’usager injuriant une secrétaire de mairie afin de savoir s’il a conscience d’attaquer un agent public ? Quid de l’agression physique, par un patient, d’un agent hospitalier en tenue civile parce qu’il s’apprête à prendre ou à quitter son service ?
En l’espèce, faute de protection fonctionnelle, il ne restera plus qu’à Monsieur B. d’espérer obtenir l’indemnisation de son préjudice sur le fondement du défaut de surveillance et de protection des locaux du SDIS.
En effet, sur ce second moyen évoqué par le requérant, le Conseil d’État a estimé qu’en ne se prononçant pas sur l’argumentation tirée de la vétusté et du défaut de surveillance des locaux, de l’absence de sécurisation des fenêtres et d’éclairage extérieur (un vol ayant déjà été commis dans l’enceinte du local vandalisé pour lequel le SDIS n’avait pas mis en œuvre les mesures correctrices nécessaires), la cour administrative d’appel de Bordeaux a insuffisamment motivé sa décision.
L’affaire est donc renvoyée devant la cour administrative d’appel de Bordeaux afin qu’il y soit statué.