La réforme de la fonction publique tant annoncée par le gouvernement dévoile enfin ses contours. Présentée aux représentants du personnel et des employeurs lors du Conseil commun de la fonction publique, le 13 février 2019, puis au Conseil des ministres, les 33 articles de ce projet de loi sont désormais soumis aux hémicycles.
Parmi les mesures visant à développer des leviers managériaux pour une action publique plus réactive et efficace, figure un nouveau cas de recours au contrat de droit public. Dans les trois versants de la fonction publique, devrait ainsi être instauré un « contrat de projet ».
Au-delà d’une nouvelle dérogation à la règle de l’emploi titulaire, énumérée à l’article 3 de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ce nouveau motif de recours au contrat est loin d’être une si grande innovation. De fait, le contrat de projet existe déjà dans la fonction publique. Regrettons qu’il puisse être assimilé à d’autres motifs existants de recours aux contractuels, pouvant faire le jeu des employeurs publics qui seraient peu scrupuleux de la précarité (A).
Fort de se targuer d’une action publique plus réactive, en outre il ne semble pas raisonnable d’attendre six ans pour parvenir à la réalisation d’une mission. Les agents y consacreront in fine une part de leurs « carrières », sans perspective apparemment de relation à durée indéterminée. Ce nouveau motif discrédite un peu plus la frontière entre les notions d’emploi permanent et de besoins temporaires, dans les motifs de recrutement des agents publics contractuels (B).
A) Le contrat de projet : une notion assimilable à des motifs existants de recrutement
Nonobstant leurs particularités, dans les trois fonctions publiques, le contrat de projet existait d’ores-et-déjà dans son principe. Pour preuve, il recouvrira des motifs de recrutement existants.
Pour autant, l’article 6 du projet de Loi de transformation de la fonction publique entendra consacrer un motif de recrutement à part entière : - en créant des articles 7 bis à la Loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d’Etat et 9-4 de la Loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 pour le versant hospitalier ; - et, en complétant l’article 3 de la Loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale. Les administrations et les établissements publics de l’Etat, les collectivités territoriales, ainsi que les établissements publics de santé, auront ainsi la faculté « pour mener à bien un projet ou une opération spécifique, de recruter un agent par un contrat à durée déterminée dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération ».
Dès lors, le contrat de projet peut s’assimiler à d’autres cas de recours existants tels que : - s’agissant des besoins temporaires, « l’accroissement temporaire d’activité » ; - ou encore le recrutement sur un besoin permanent du service d’un contractuel pour des connaissances techniques hautement spécifiques.
Dans ce premier cas de figure, la notion « d’accroissement temporaire d’activité » est susceptible de recouvrir, partiellement, le champ de ce nouveau contrat de projet. Elle demeure en pratique peu usité, faute d’être réellement circonscrite. Ainsi, le gouvernement aurait pu choisir de mieux définir cette notion, à l’instar du droit du travail où la directive DRT du 18 du 30 novembre 1990 a précisé son champ d’action : - l’augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise, - et, l’exécution d’une tâche occasionnelle, mais précisément définie et non durable ne relevant de l’activité normale de l’entreprise. Cette mission demeure toutefois limitée dans le temps à une période maximale de 18 mois.
Dans l’hypothèse où le projet serait plus long dès sa mise en œuvre, second cas de figure, l’administration a la faculté de recruter un contractuel, pour un besoin permanent du service, du fait de ses connaissances techniques hautement spécifiques. Il est à noter que le projet de loi tend à généraliser cette possibilité à toutes les catégories professionnelles (A, B et C) à l’image de la fonction publique hospitalière. Toutefois, élément coercitif pour l’employeur public, quant à ce motif, cela suppose, au-delà de six années de service, l’obligation de proposer à l’agent contractuel un contrat à durée indéterminée (CDI).
En définitive, la possibilité d’être ainsi confondu avec d’autres motifs ne fait que stigmatiser le caractère anormalement large et flou du champ de ce nouveau contrat. Force est de constater que les notions « projets » ou « d’opérations spécifiques » n’apparaissent pas être, qui plus est, des raisons véritablement objectives au sens de de l’accord-cadre de la directive 1999/70/CE et difficilement vérifiables par le juge administratif.
En sus, il peut être source de précarité. L’on peut ainsi craindre que le choix laissé aux employeurs publics ne se fasse vers plus flexibilité, et partant de précarité, d’autant qu’il n’impliquerait aucune perspective durable d’emploi pour l’agent.
B) Le contrat de projet : emploi permanent ou temporaire ?
Par principe, la nature du besoin que l’employeur public cherche à satisfaire peut-être classifiée soit comme temporaire, soit comme permanente. Cette dichotomie propre aux contrats de fonction publique est cependant mise à mal par ce nouveau motif de contrat. En effet, ses contours flous semblent lui permettre d’empiété sur ces deux terrains, jusqu’alors distincts.
En premier lieu, l’agencement des articles instituant le contrat de projet au sein des dispositions existantes ne permet pas de répondre à cette question de manière péremptoire. En effet, que ce soit dans les versants étatique ou hospitalier, les futurs articles 7 bis ou 9-4 précités seront aussi bien détachés de ceux correspondant à un besoin temporaire ou de ceux permanents. Il convient en revanche de noter que, s’agissant de la fonction publique territoriale, la réponse est plus tranchée puisque ce motif est annexé à l’article 3 définissant l’accroissement temporaires d’activité ou saisonnier.
En second lieu, indice de son caractère temporaire, il semblerait que ce contrat ne devrait pas offrir de perspective de CDI aux agents, ni de titularisation. Tel fut l’exposé d’Alain Dussopt, Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’action publique et des comptes publics, le 13 février 2019.
Pour autant, le contrat de projet est susceptible de perdurer dans le temps dans la limite de six années. D’après l’article 6 de la loi de transformation de la fonction publique, « sa durée est fixée selon l’une des modalités suivantes : « 1° Lorsque la durée du projet ou de l’opération peut être déterminée, elle est fixée dans le contrat ; « 2° Lorsque la durée du projet ou de l’opération ne peut être déterminée, le contrat est conclu dans la limite d’une durée de six ans ».
Or, est-il raisonnable de penser que six années de service sur un tel motif puissent être qualifiées de besoin temporaire ? Il est à croire que le juge administratif n’y sera pas dupe, à l’heure, de la censure des recours abusifs au CDD (CE, 20 mars 2015, req. n° 371664). D’ailleurs, dans le cadre de son office, il ne s’arrête pas au motif du contrat de l’agent pour requalifier in fine le besoin de permanent, et lui offrir droit au CDI.
En définitive, derrière le contrat de projet se cache plus de précarité, et une future source d’insécurité juridique.