Par un arrêt du 7 février 2025 (CE, 7e et 2e ch. réunies, 7 février 2025, req. n° 495551, mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d’État a confirmé que les frais exposés par un agent devant les juridictions administratives au titre de sa protection fonctionnelle pouvaient être pris en charge par l’administration employeur.
L’un des aspects de la protection fonctionnelle, est la possibilité ouverte à l’agent public de solliciter la prise en charge des frais exposés dans les procédures juridictionnelles relatives à des faits ayant ouvert droit au bénéfice de cette protection fonctionnelle.
Le décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales par l'agent public ou ses ayants droit, prévoyait dans son article 2 une prise en charge « des frais exposés dans le cadre d’une instance civile ou pénale » au titre de la protection fonctionnelle.
L’article L. 134-12 du code général de la fonction publique semblait lui aussi limiter la prise en charge des frais par l’administration aux frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales.
La question s’est donc posée de savoir si, au regard des termes de ce décret, les frais exposés devant les juridictions administratives pouvaient aussi être pris en charge dans le cadre de la protection fonctionnelle.
La juridiction administrative a eu l’occasion de considérer que l’octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle devait conduire l’administration à assister son agent dans le cadre des « poursuites judiciaires » au sens large qu’il entreprendrait :
16. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre (CAA Paris, 7 juin 2022, req. n° 21PA02396).
Par voie de conséquence, elle a donc considéré que le refus de prise en charge de la procédure administrative tendant à l’indemnisation du préjudice subi du fait des attaques ayant donné lieu à l’octroi de la protection fonctionnelle était entaché d’une erreur de droit :
17. Contrairement à ce que soutient la commune de C..., ces dispositions sont susceptibles de s'appliquer à une instance tendant à voir engager, devant le juge administratif, la responsabilité de la collectivité qui emploie l'agent bénéficiaire. D... suite, en refusant de faire droit à la demande de Mme A... qui sollicitait le bénéfice de la protection fonctionnelle afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis en raison de l'agression dont elle avait été victime le 21 mars 2017, au motif qu'elle ne tendait pas à la prise en charge de frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales, la commune a entaché sa décision d'une erreur de droit. Mme A... est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que, D... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 septembre 2018 D... laquelle la commune de C... a rejeté sa demande de prise en charge des frais d'avocat exposés aux fins d'engager la responsabilité de la commune (CAA Paris, 7 juin 2022, req. n° 21PA02396)
De la même façon, le tribunal administratif de Poitiers a pu considérer que les instances engagées devant les juridictions administratives devaient être prises en charge au titre de la protection fonctionnelle :
en n’incluant pas la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances juridictionnelles, notamment devant les juridictions administratives, l’administration a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation, nonobstant la circonstance que le requérant n’ait pas souhaité engager de procédure pénale (TA Poitiers, 6 février 2023, req. n° 2100996).
Ce raisonnement a très récemment été confirmé par le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris, dans des termes particulièrement explicites :
6. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5, le bénéfice de la protection fonctionnelle que l'administration est tenue d'accorder à son agent doit être regardé comme valant pour toutes les démarches et actions contentieuses que cet agent peut être conduit à effectuer, devant quelque ordre juridictionnel que ce soit et pour toutes les phases ou stades de la procédure, incluant la première instance et les voies de recours, de sorte que l'autorité administrative n'est pas tenue de réitérer son octroi pour chacune de ces phases, afin d'obtenir la réparation des menaces et violences qu'il a subies dans l'exercice de ses fonctions. Par suite et dès lors que la Cour a retenu, par son arrêt précité devenu définitif, que M. B... devait être regardé comme apportant un faisceau d'indices suffisamment probants pour permettre de considérer comme au moins plausible le harcèlement moral dont il s'est dit victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques, la protection fonctionnelle qui doit lui être accordée en exécution de l'injonction mentionnée au point 4 comprend nécessairement l'ensemble des actions contentieuses relatives à ce harcèlement (CAA Paris, Juge des référés, 4 octobre 2024, req. n° 24PA01236).
Toutefois, un doute persistait, en raison des dispositions du décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 qui ne garantissait qu’une prise en charge des frais « devant les instances civiles et pénales », et de jurisprudences parfois contradictoires.
En effet, dans une ordonnance du 13 juin 2024, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté la demande de provision d'un agent bénéficiant de la protection fonctionnelle pour prendre en charge des frais découlant d'un litige porté devant une juridiction administrative, en considérant que cette institution ne saurait être regardée comme une instance civile ou pénale (CAA Paris, 13 juin 2024, req. n°20PA01673).
C’est dans ces circonstances que l’arrêt de la haute juridiction administrative est intervenu, pour trancher la question.
Dans son arrêt du 7 février 2025, le Conseil d’État a confirmé que les frais exposés par un agent devant les juridictions administratives devaient être pris en charge au titre de la protection fonctionnelle :
l’instance engagée par un agent devant une juridiction administrative, relative à des faits ouvrant droit au bénéfice de la protection fonctionnelle doit être regardée comme entrant dans les prévisions de l’article L. 134-12 du code général de la fonction publique et du décret du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit pris pour son application, dont les dispositions sont désormais codifiées aux articles R. 134-1 et suivants de ce même code. Dès lors, en jugeant que ces dispositions faisaient obstacle à ce que les frais d’avocat exposés par M. B devant les juridictions administratives puissent être pris en charge par l’État au titre de la protection fonctionnelle, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit.
Ainsi, il est désormais clair que les agents publics pourront demander la prise en charge de leur frais d’instance devant les juridictions administratives dans le cadre de la protection fonctionnelle octroyée par leur administration.
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