Par un arrêt rendu le 16 janvier 2024, la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 16 janvier 2024, req. n° 23BX00053) a rappelé l’absolue nécessité pour l’autorité investie du pouvoir disciplinaire d’établir la matérialité des faits sur le fondement desquels elle envisage d’infliger une sanction à un agent public.
Madame B est adjointe administrative territoriale de 1ère classe et exerçait les fonctions de secrétaire de mairie à mi-temps au sein de la commune de Montauriol.
Par un arrêté en date du 9 juillet 2021, le maire de la commune l’a suspendue de ses fonctions à compter du 16 juillet 2021.
Une procédure disciplinaire a ensuite été engagée à l’encontre de Madame B.
Le conseil disciplinaire a estimé que les attestations sur lesquelles reposaient les accusations étaient peu circonstanciées et reposaient sur des propos vagues et imprécis (l’arrêt n’indique pas le sens de l’avis du conseil de discipline).
Par un arrêté en date du 22 décembre 2021, la commune de Montauriol a prononcé à l’encontre de Madame B la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix-huit mois.
Madame B a alors demandé l’annulation de cet arrêté au juge de l’excès de pouvoir du tribunal administratif de Bordeaux qui a fait droit à sa demande et a enjoint à la collectivité de procéder à la reconstitution de sa carrière.
La commune a alors interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux qui a rejeté la requête de la commune et ainsi confirmé le jugement rendu en première instance.
De manière classique en matière disciplinaire, la cour s’est interrogée sur la question de savoir si les faits reprochés à l’agente étaient matériellement établis et de nature à justifier l’infliction d’une sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une année et demie.
Après avoir rappelé la règle selon laquelle c’est à l’autorité investie du pouvoir de nomination qu’il appartient d’établir la réalité des faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction (jurisprudence constante, voir pour une illustration : CE, 8 juin 1966, Banse, req. n° 65697, Rec. p. T. 876), la cour énonce les griefs reprochés à Madame B :
5. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été notamment exposé au conseil de discipline, qu'il est reproché à Mme B... une succession de retards et d'insuffisances dans l'exécution de ses tâches ainsi que divers manquements dans le traitement de dossiers prioritaires tels l'enregistrement de pacte civil de solidarité et d'acte de naissance, les inscriptions de nouveaux habitants sur les listes électorales, la non-communication de documents à des administrations, entreprises ou particuliers. Il est également reproché à Mme B... un manque de ponctualité, un refus d'assister aux conseils municipaux et de rédiger les procès-verbaux et, d'une façon générale, un comportement inadapté et désagréable envers les partenaires et les usagers de nature à nuire à l'image de la commune.
Il appartient alors au juge de l’excès de pouvoir, saisi de la contestation d’une sanction disciplinaire, d’en apprécier la légalité au regard des seules pièces qui lui sont soumises (CAA Paris, 19 décembre 2013, M. A. c/ France Télécom, req. n° 11PA03177).
En l’espèce, cette analyse a amené à un rejet des pièces produites par la commune (I) en raison du fait qu’elles étaient notamment contredites par celles produites par Madame B (II).
I. Le rejet des pièces produites par la commune
En l’espèce, la commune produit de nombreuses pièces que le juge va méticuleusement analyser.
Pour établir les faits fondant des poursuites, la commune produit une attestation établie le 16 septembre 2021 par la personne ayant remplacé Madame B pendant la période estivale et qui fait état :
« … d'un dossier de reconnaissance anticipée de naissance déposé en février 2021 non traité, et avoir constaté que le registre d'état civil de l'année 2021 n'était pas à jour et ne comportait pas une naissance hors commune, un acte de décès, une transcription de décès, ainsi qu'un dossier de pacte civil de solidarité non traité, cette personne indiquant également que le maire de Montauriol s'est adressé à la commune de Cahuzac pour obtenir des modèles de documents non traités par le secrétariat de Montauriol ».
Sur ce point, le juge estime que cette attestation ne saurait, à elle seule, établir les griefs en cause compte tenu du fait notamment qu’elle a été faite par une personne placée sous l’autorité du Maire :
7. Toutefois cette attestation, qui émane d'un agent placé sous l'autorité du maire et exerçant ses fonctions alors que Mme B ... venait de faire de faire l'objet d'une mesure de suspension, ne saurait à elle-seule établir les griefs en cause.
Les autres pièces produites par la commune vont également faire l’objet d’une analyse de la part du juge et être rejetées une à une :
En outre, la commune de Montauriol produit un avis de la commune de Bergerac du 2 septembre 2021 relatif à la naissance à Bergerac le 30 août 2021 d'un enfant dont les parents sont domiciliés à Montauriol portant une inscription manuscrite " déposé en février 2021, enregistré le 11 août 2021 " sans que cet avis de naissance ne comporte la référence à une déclaration anticipée de naissance. La commune de Montauriol produit également un extrait du registre d'état civil, sans indication de date, portant transcription de naissance le 23 février 2021 hors commune, d'un décès survenu le 27 mars 2021 à Montauriol enregistré le 31 mars 2021, d'un décès survenu le 31 mars 2021 hors la commune de Montauriol et transcrit le 21 avril 2021 en mairie de Montauriol. Enfin il n'est pas établi par la production d'une déclaration de pacte civil de solidarité datée du 3 février 2021, lequel a été enregistré le 22 septembre 2021, que la demande était dès février 2021 complète. Par ailleurs, la commune de Montauriol produit diverses attestations émanant du maire d'une commune voisine, qui n'est pas l'employeur de Mme B..., du directeur du syndicat mixte de la vallée du Lot qui se borne à indiquer que Mme B... n'est pas intervenue dans un dossier géré uniquement par le maire de Montauriol alors que Mme B... exerce ses fonctions à mi-temps, d'un conseiller municipal " attestant avoir entendu " Mme B... refuser de prendre en charge le budget annexe de la commune, du maire de Cahuzac attestant " ne pas avoir ressenti un accueil chaleureux de la part de la secrétaire " " les rares fois où il s'est rendu à la mairie de Montauriol ", d'une personne résidant à Montauriol se plaignant de l'attitude désagréable de Mme B... et faisant état du manque de ponctualité et de l'incompétence flagrante de Mme B..., d'un administré attestant " suite à la demande du maire concernant les relations avec la secrétaire de mairie " d'un accueil qui n'est pas toujours satisfaisant et de la méconnaissance de Mme B... concernant l'inscription sur les listes électorales, d'un auto-entrepreneur se plaignant du non règlement d'une facture en 2019 et du comportement désagréable de Mme B..., d'un administré se plaignant de ce que Mme B... lui a indiqué de manière désagréable qu'il ne pouvait consulter le cadastre en mairie, d'administrés se plaignant de ce que Mme B... ne connaisse pas leurs chambres d'hôtes, leur a demandé de s'inscrire en ligne sur les listes électorales au lieu de prendre en charge leurs demandes ou les accueillis de manière désagréable lors du dépôt d'une demande de permis de construire, du maire de Saint-Pardoux Isaac attestant avoir eu Mme B... comme secrétaire de 2014 à 2020 et que plusieurs administrés sont venus se plaindre de son accueil et qu'elle avait de mauvaises relations de travail avec ses collègues, d'un administré se plaignant d'avoir reçu de la trésorerie locale un avis de somme à payer pour une concession funéraire alors qu'il avait précédemment déposé son règlement en mairie, d'un administré se plaignant de ne pas avoir été informé par Mme B... de l'augmentation de son loyer, d'une association se plaignant du refus de réservation d'une salle.
Or, les témoignages ne doivent contenir aucun propos déformé et que leur contenu doit être « suffisamment précis et concordants » ainsi que « circonstanciés (CAA Nancy, 25 juin 2019, M. C. c/ ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, req. n° 17NC01529). Aussi, la cour a considéré que les fautes reprochées ne n’étaient en l’espèce pas établies :
8. Alors qu’il ressort des pièces du dossier que la relation de travail entre le maire de Montauriol et Mme B… s’est dégradée à la suite du congé maladie de cette dernière du 17 avril 2021 pour une durée initiale de huit jours, les attestations produites ainsi par la commune de Montauriol sont peu circonstanciées et reposent sur des propos vagues et imprécis, comme l’ont estimé à bon droit tant les membres du conseil de discipline que les premiers juges, et ne permettent pas d’établir la réalité de la gravité des manquements ou des fautes reprochés à Mme B…,
La réalité des manquements n’est donc pas établie par les pièces produites par la collectivité.
Ce faisant, de manière implicite, le juge rappelle l’intensité du contrôle qu’il exerce sur les pièces produites en matière disciplinaire et qui permette d’établir, ou non, la matérialité des faits reprochés.
II. Contradiction entre les pièces produites par la commune et celles produites par Madame B
Si les pièces produites par la commune contiennent des propos peu circonstanciés, vagues et imprécis, elles sont également contredites par celles produites par Madame B, qui font état notamment de son professionnalisme :
… ces attestations étant à cet égard elles-mêmes contredites par les propres attestations produites par Mme B..., qui émanent notamment d'anciens conseillers municipaux faisant état de la disponibilité de Mme B..., de son écoute, de son soutien pendant les conseils municipaux, de son professionnalisme et de sa discrétion, d'une attestation du maire de Mescoules, commune dans laquelle Mme B... exerce ses fonctions à temps partiel depuis 2016, et qui relève son professionnalisme, son sérieux et son efficacité que ce soit dans le suivi administratif, le suivi budgétaire et l'accueil du public ainsi que d'administrés attestant de son écoute et de son amabilité et de collègues.
La cour vient un peu plus enfoncer le clou en prenant en compte les évaluations professionnelles favorables de Madame B, l’absence de sanction disciplinaire et le fait qu’elle ait bénéficié d’une NBI avant de conclure que les faits évoqués ne peuvent justifier la sanction infligée :
Ainsi, et alors que, selon le procès-verbal du conseil de discipline, les évaluations professionnelles de Mme B... font état d'une manière de servir satisfaisante, qu'elle a bénéficié d'une NBI pour la polyvalence de ses fonctions et n'avait pas fait jusqu'alors l'objet de sanction disciplinaire, il résulte ainsi de ce qui précède que les faits précédemment évoqués, s'ils peuvent pour certains manifester une implication moindre de Mme B... dans l'exercice de ses fonctions, n'établissent pas les fautes alléguées qui seraient de nature à justifier une sanction du 3ème groupe et, en l'espèce, une exclusion temporaire de fonctions pour dix-huit mois.
En ne manquant pas de préciser que certains faits manifestent une implication moindre de Madame B dans l’exercice de ses fonctions, sous-entendant ainsi que certains faits reprochés sont matériellement établis, la cour laisse la porte ouverte à ce qu’une sanction moins importante puisse être prononcée par la collectivité. En l’état, il n’en reste pas moins qu’elle valide le jugement du tribunal administratif de Bordeaux ayant considéré que le maire de Montauriol a pris une sanction disproportionnée :
Par suite, le tribunal, qui a pris en compte tous les éléments produits dans le cadre de ce litige, a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, jugé que le maire de Montauriol a pris une sanction disproportionnée en décidant de prononcer à l'encontre de Mme B... une exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois, sanction relevant du troisième groupe.
Cette décision, loin de s’éloigner de la jurisprudence qui la précède, rappelle l’importance du contrôle du juge en matière d’existence matérielle de faits pouvant revêtir un caractère disciplinaire et de la nécessité pour une collectivité de rapporter la preuve des fautes qu’elle reproche à son agent.
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