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  • Photo du rédacteurMarie Cochereau

L’indemnisation de la souffrance morale et constat de manifestations cliniques de la douleur

En matière d’indemnisation des préjudices moraux, le juge administratif n’expose que très rarement les raisons concrètes qui l’ont amené à allouer une somme, plutôt qu’une autre au requérant. Toutefois, par son caractère détaillé et didactique, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes (Cour administrative d’appel de Nantes, 3 février 2023, n° 21NT02869) permet de retenir que, devant les difficultés entourant l’appréciation des sentiments humains par le juge administratif et l’indemnisation de la souffrance morale, les juridictions administratives ne peuvent in fine se rattacher qu’à ce qui est visible, à savoir les manifestations cliniques, les symptômes de la douleur morale.

La requérante, adjointe administrative, a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral au sein de la sous-préfecture où elle se trouvait affectée dans le département des Côtes d’Armor.

Dans un premier temps, Madame C..., a été placée en congé de longue durée à compter du 13 décembre 2010.


Dans un second temps, l’agent a sollicité, d’une part, la reconnaissance de l’imputabilité au service de son état de santé, et d’autre part, le bénéfice de la protection fonctionnelle.


Si le préfet des Côtes d’Armor a reconnu l’imputabilité au service de sa pathologie par un arrêté du 18 février 2015, l’administration a cependant refusé fois de lui octroyer le bénéfice de la protection, par deux fois, le 21 septembre 2015 et le 26 juillet 2018, contraignant l’agent à saisir le juge administratif à deux occasions.


Alors que le tribunal administratif de Rennes avait annulé la première décision du 21 septembre 2015, il a cependant rejeté la nouvelle requête de Madame C... tendant à l’annulation de la nouvelle décision du 26 juillet 2018 et à la condamnation de l’État à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis à raison de la maladie professionnelle dont elle a été victime, ainsi qu’une somme de 5 000 euros au titre des frais de conseil qu’elle a exposés.


Dans ces circonstances, l’agent a interjeté appel du jugement en tant qu’il a rejeté sa demande de condamnation de l’État au versement d’une somme de 30 000 euros en réparation des souffrances endurées, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence qu’elle estime avoir subis à raison de la maladie professionnelle qu’elle a contractée.


Par son arrêt du 3 février 2023, la Cour administrative d’appel de Nantes a estimé que Madame C... était fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes avait rejeté sa demande de condamnation de l’État à l’indemniser des préjudices subis à raison de la maladie professionnelle qu’elle a contractée, et qu’il devait être condamné à lui verser une somme de 25 000 euros à ce titre.


Le contexte « classique » de la réparation complémentaire


Les agents publics victimes d’un accident de service, d’un accident de trajet ou d’une maladie professionnelle peuvent classiquement prétendre à la réparation des dommages subis subséquemment, à savoir le remboursement des honoraires médicaux et des frais de santé rendus nécessaires (L. 822-24 code général de la fonction publique), ainsi que l’octroi d’une allocation temporaire ou d’une rente viagère d’invalidité destinée à compenser les pertes de revenus et l’incidence professionnelle de l’accident ou de la maladie reconnue imputable.


Outre cette réparation purement objective et matérielle prévue par les textes, le juge administratif a, désormais de longue date, admis que l’agent public victime d’un accident ou d’une maladie reconnue imputable au service pouvait solliciter une indemnité complémentaire pour la réparation des souffrances morales et physiques, ainsi que des préjudices esthétiques et des troubles dans les conditions d'existence pouvant résulter de l'accident ou de la maladie, même en l'absence de faute de la collectivité (CE, Assemblée, 4 juillet 2003, Mme Moya-Caville, req. n° 211106, Lebon p. 323) :

« Considérant que ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions ; qu’elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci ».


Le contexte de la demande de Madame C... n’a donc ici rien de particulièrement surprenant puisqu’il s’agit pour l’agent de solliciter de la juridiction administrative une réparation complémentaire au titre de sa pathologie reconnue imputable au service, sur le fondement du harcèlement moral qu’elle a subi, faute engageant la responsabilité de la collectivité.


L’originalité tenant au montant d’indemnisation de la souffrance morale


La réparation de la douleur morale par le juge administratif a été plus tardive que devant le juge judiciaire (CE, Assemblée, 24 novembre 1961, Consorts Letisserand, req. n° 48841, publié au recueil Lebon). Pour cause, « l’inadaptation, presque ontologique, de la monnaie aux sentiments » (« L'indemnisation de la douleur morale », Sébastien Hourson, AJDA 2018 p.2062), qui a conduit non seulement les juridictions à la plus grande rationalité dans l’évaluation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence.


La particularité de cette évaluation réside dans la difficulté d’évaluer le sentiment humain. De ce fait, « le ou les sentiments qui ont pu influencer le juge administratif dans le choix d’une solution n’affleurent donc jamais à la lecture des arrêts » (« Les sentiments devant le juge administratif français », Maryse Deguergue, Les Cahiers du Droit, Volume 61, numéro 4, décembre 2020).


L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes en est le parfait exemple, quantifiant la douleur morale de la requérante, par l’observation, exceptionnellement détaillée, de signes cliniques et autres constats médicaux : « la pathologie reconnue comme imputable au service dont souffre la requérante est caractérisée par un état anxio-dépressif marqué par de la tristesse, une forte anxiété, des troubles du sommeil, des ruminations morbides, une irritabilité, une aboulie, un apragmatisme et un anhédonisme ainsi qu’une perte d’efficience intellectuelle et des facultés de concentration. Cette pathologie a nécessité de très nombreux arrêts de travail reconnus comme imputables au service, ainsi que plusieurs hospitalisations en milieu psychiatrique, l’intéressée ayant fait quatre tentatives de suicide. Elle a eu comme autres répercussions une dévalorisation de soi, un sentiment de carrière interrompue brutalement par la faute d’autrui, une perte d’espoir, une prise de poids et un arrêt de l’activité sexuelle. En outre, Mme C s’est vu reconnaître en 2018 un taux d’incapacité physique permanente de 44% ».


Le corolaire de cette difficulté à évaluer le prix de la douleur est la modération certaine voire l’excessive retenue dont fait parfois preuve le juge administratif, forçant de la doctrine le triste constat qu’ « au guichet de la justice administrative, le taux de change de la douleur en euros peut sembler singulièrement bas » (« L'indemnisation de la douleur morale », Sébastien Hourson, AJDA 2018 p.2062).


En pratique, pour reprendre la formulation du juge administratif lui-même, la juste appréciation de l’indemnité due au requérant au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d’existence, oscille, sans raison apparente à la lecture des décisions de justice, au moyen des mêmes constats et preuves matérielles, entre 2 000 euros (CAA Nantes, 21 septembre 2021, Centre de gestion de la fonction publique territoriale du Morbihan, req. n° 20NT03520 ; CAA Lyon, 14 décembre 2022, req. n° 21LY00530) et 20 000 euros (CAA Bordeaux, 25 octobre 2022, req. n° 20BX03889 ; CAA Bordeaux , 15 novembre 2022, req. n° 20BX03997 ; CAA Lyon, 6 avril 2017, req. n° 16LY03469).


En l’espèce, pour la Cour administrative d’appel de Nantes, il serait fait une juste appréciation des préjudices de Madame C…, au regard de la liste particulièrement extensive des manifestations matérielles et rationnelles de sa douleur morale, en lui allouant des sommes de 5 000 euros au titre du préjudice moral, de 5 000 au titre des souffrances endurées, et de 15 000 euros au titre des divers troubles subis dans ses conditions d’existence.


Bien qu’une indemnisation à hauteur de 25 000 euros puisse être regardée comme particulièrement généreuse en l’état de la jurisprudence actuelle, il convient toutefois de se rappeler que l’indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence ne vise in fine qu’à « procurer une diversion, améliorer un état moral ou psychique ébranlé par un bouleversement affectif » (conclusions du commissaire du gouvernement M. Claude Heumann sur CE, ass., 24 nov. 1961, Letisserand, Lebon p.661), de sorte qu’il serait permis de se demander si elle sera un jour suffisante pour réparer la souffrance morale dans toute son ampleur.

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