Le mercredi 18 mars, des CRS des départements du Rhône, de l'Ain et de l'Isère ont fait valoir leur droit de retrait en l’absence de matériel de protection adéquat contre le Coronavirus, tel que des masques de type FFP2 et des gants de protection en latex, qui sont actuellement en nombre insuffisant. Interrogé au micro d’Europe 1, le 19 mars suivant, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a répliqué qu’il estimait que les agents n'étaient « pas en risque » face au Coronavirus lors des contrôles auprès du public, de sorte que le droit de retrait ne serait, en l’espèce, pas justifié.
Au regard de l’ampleur que prend l’épidémie, en France et partout dans le monde, d’autres agents publics sont et seront amenés à s’interroger sur l’utilisation de leur droit de retrait afin de se protéger et de protéger leurs familles.
Toutefois, outre les conditions classiques d’utilisation du droit de retrait, qui peuvent parfois être difficiles à réunir, son application à l’épidémie de Coronavirus paraît ironiquement incertaine, notamment pour les corps de métiers les plus exposés aux malades ou au public, mais aussi les plus indispensables à la population, tels que les agents des forces de l’ordre ou les agents des services hospitaliers.
Qu’est-ce que le droit de retrait pour les agents publics ?
Le droit de retrait consiste en la possibilité pour tout agent de quitter son poste de travail s'il a un motif raisonnable de penser qu'il se trouve exposé à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ou s'il constate une défectuosité dans les systèmes de protection (article 5-6 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique ; article 5-1 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale ; article L. 4131-1 du code du travail pour la fonction publique hospitalière).
Ainsi, pour pouvoir donner lieu à l’exercice d’un droit de retrait, la situation dont se prévaut l’agent public doit réunir deux conditions :
Un danger grave : Ce danger grave doit donc être distingué du risque habituel du poste de travail ou des conditions normales d’exercice, même si l’activité peut s’avérer pénible et dangereuse, ou des « retraits protestataires » faisant par exemple suite à l’agression d’un autre agent du même service (Tribunal administratif de Nancy, 22 mars 2011, req. n° 0901907) ;
Un danger imminent : Ce danger ne doit pas être simplement éventuel, mais susceptible de se concrétiser dans un bref délai.
Comment mettre en œuvre le droit de retrait ?
Deux procédures sont envisageables pour la mise en œuvre du droit de retrait des agents publics.
Dans le premier cas, l’agent qui se trouve dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent en informe personnellement et immédiatement son chef de service, puis il se retire de son poste de travail (article 5-6 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982). Cette alerte peut être effectuée verbalement ou par écrit (Conseil d’État, 11 juillet 1990, req. n° 85416).
Dans le second cas, l’agent peut également informer un membre du CHSCT de la situation de danger grave et imminent que son travail présente (article 5-7 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982). C’est alors ce représentant du personnel qui alerte le chef de service et consigne l’évènement au registre spécial consacré aux signalements des dangers graves et imminents présenté (article 5-8 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ; article 5-3 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985).
Ce registre spécial est tenu, sous la responsabilité de l’employeur public, à la disposition des représentants du personnel au CHSCT. Les avis du registre spécial doivent être signés et indiquer :
les postes de travail concernés par la cause du danger constaté ;
la nature et la cause de ce danger ;
le nom des travailleurs exposés.
Comment vérifier la réalité du danger et déterminer les mesures à prendre pour y remédier ?
Dans les deux hypothèses précitées, une enquête doit immédiatement être diligentée par l’autorité administrative, le cas échéant en y associant un membre du CHSCT.
Dans l’hypothèse où l’autorité administrative conclut à la réalité du danger, elle est tenue de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation. Elle doit également informer le CHSCT des décisions prises. Ces mesures sont consignées dans le registre spécial.
En cas de divergence sur la réalité du danger ou la manière de le faire cesser, l’autorité administrative a l’obligation de réunir d’urgence, c’est-à-dire dans un délai de 24 heures, le CHSCT compétent. L’inspecteur du travail doit également être informé de cette réunion et peut y assister à titre consultatif.
A défaut d’accord, à l’issue de cette réunion entre l’autorité administrative et le CHSCT, l’inspecteur du travail est obligatoirement saisi afin qu’il dresse lui-même un rapport indiquant, s'il y a lieu, les manquements en matière d'hygiène et de sécurité et les mesures proposées pour remédier à la situation.
Si le droit de retrait est justifié, quelles sont les conséquences ?
Aucune sanction ne peut alors être prise, aucune retenue de rémunération ne peut être effectuée à l’encontre des agents ayant exercé régulièrement leur droit de retrait (article 5-6 II° du décret n° 82-453 du 28 mai 1982).
De plus, l’autorité administrative ne peut demander à l’agent ayant usé de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection (article 5-6 I° du décret n° 82-453 du 28 mai 1982).
Si le droit de retrait est injustifié, quelles sont les conséquences ?
En revanche, si l’utilisation du droit de retrait n’était pas justifiée, l’agent est mis en demeure de prendre ses fonctions et s’expose à des retenues sur traitement (pour absence de service fait), ainsi qu’à des poursuites disciplinaires.
Existe-t-il des fonctions incompatibles avec le droit de retrait ?
Lorsqu'ils exercent leurs fonctions dans le cadre d'une des missions de secours et de sécurité des personnes et des biens, les fonctionnaires des cadres d'emplois des sapeurs-pompiers, de police municipale et des gardes champêtres ne peuvent se prévaloir du droit de retrait (arrêté du 15 mars 2001 portant détermination des missions de sécurité des personnes et des biens incompatibles avec l'exercice du droit de retrait dans la fonction publique territoriale).
Le Coronavirus justifie-t-il l’exercice d’un droit de retrait ?
Dans ce contexte d’épidémie de Coronavirus, peut se poser la question de l’utilisation de leur droit de retrait pour les agents publics qui, ne pouvant être placés en télétravail, ont été maintenus en fonction pour assurer la continuité du service public.
Toutefois, il convient tout d’abord de s’interroger sur le caractère grave et imminent du danger que représenterait le Coronavirus. En effet, l’existence d’une épidémie ne valide pas de facto tous les droits de retrait.
Il conviendra de rechercher, au cas par cas :
si l’agent se trouve effectivement dans une zone où les cas de contamination sont extrêmement nombreux (les fameux « clusters ») ;
si, du fait de ses fonctions, l’agent peut réellement être en contact avec des personnes infectées ;
si l’agent souffre personnellement d’une pathologie susceptible de le classer dans la liste des « personnes à risques » et permettant de considérer qu’il risquerait réellement une atteinte à sa santé en cas de contamination ;
si les mesures de protection mises en place par son établissement ou sa collectivité ne sont pas conformes aux recommandations gouvernementales pour lutter contre le Coronavirus.
Ainsi, s’agissant de la fonction publique hospitalière, il a pu être jugé que, dès lors qu’un établissement hospitalier, en raison même de sa vocation, devait être apte à faire face au risque de contagion pour ses agents et pour les tiers, l'admission de malades atteints d'affections graves (VIH et Hépatite B) ne saurait par elle-même présenter le caractère d'un danger grave et imminent (Tribunal administratif de Versailles, du 2 juin 1994, inédit au recueil Lebon).
Néanmoins, dans le cas du Coronavirus, et de l’aveu même du Gouvernement, les établissements hospitaliers ne disposent pas encore, au jour de la rédaction de cet article, du matériel nécessaire à faire face au risque de contagion pour leurs agents, comme pour les tiers.
Or, il est également nécessaire de préciser que l’exercice du droit de retrait doit s'exercer de telle manière qu'il ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent (article 5-6 III° du décret n°82-453 du 28 mai 1982). Il s’agit là d’une limite au droit de retrait à prendre en considération dans un contexte épidémique comme celui du Coronavirus.
Si de nombreux agents des services hospitaliers ou encore des services de police pourraient être tentés d’exercer leur droit de retrait, compte tenu du risque et de l’absence de mesures de protection adéquates, leur retrait aurait pour effet de mettre en danger le reste de la population française. Cette circonstance toucherait à des notions chères au juge administratif telles l’ordre public, la salubrité publique ou encore la continuité du service public, et rendrait l’utilisation du droit de retrait quelque peu périlleuse pour les agents concernés.
Ainsi, si des cas exceptionnels de droit de retrait pourraient être envisagés, dans des zones précises où les conditions de protection seraient manifestement et très dangereusement inadéquates, avec possibilité immédiate d’y remédier même de manière partielle, il ne semble pas possible de mettre en œuvre un droit de retrait systématique dans l’ensemble des administrations où les mesures de protection seraient limitées.
Plus adéquate, serait peut-être l’utilisation du droit d’alerte du CHSCT, lequel peut se trouver être un instrument de dialogue très efficace, permettant d’alerter sur la carence de protection de la part de l’employeur public et les risques réels d’infection du personnel soignant notamment, et le cas échéant, d’acter une faute qui permettra d’engager la responsabilité des pouvoirs publics en cas de maladies professionnelles par exemple, mais sans aller jusqu’au blocage des services publics, lesquels seraient à l’heure actuelle contreproductifs.
Comments