Par un arrêt du 27 septembre 2020 (CE, 27 septembre 2021, Ministre des Armées c/ Mme A…, req. n° 440983, Lebon), le Conseil d’État a confirmé et précisé sa définition de l’accident de service.
En l’espèce, une adjointe administrative de 1ère classe, exerçant les fonctions de responsable du secrétariat général au service logistique de la marine de Brest, était reçue en entretien d’évaluation professionnelle par sa supérieure hiérarchique, au cours duquel il lui était reproché la qualité de ses relations avec ses collègues, l’agent ayant tenu des propos à caractère xénophobe. Il lui était demandé en conséquence de « ne plus émettre d'observations sur des sujets sociétaux » et d' « observer la neutralité qui s'impose à chacun dans le cadre professionnel ». Malgré le fait que la supérieure de l’agent soit restée calme et ait conservé un ton mesuré, l’agent avait quitté précipitamment l’entretien.
Les conséquences de l’entretien sur l’état psychique de l’agent étaient importantes puisque l’arrêt de travail produit le lendemain évoquait un « état de choc avec une anxiété généralisée majeure réactionnelle, avec risque suicidaire », confirmé par l’avis de l’expert psychiatre faisant état d'un « tableau anxiodépressif ayant fait suite au contenu d'un entretien d'évaluation professionnelle à l'origine d'une blessure narcissique » et l’arrêt était prolongé de plusieurs mois.
Face au refus du ministre des Armées de reconnaître un accident de service, l’agent a formé un recours devant la juridiction administrative : tant le tribunal administratif de Rennes que la cour administrative d’appel de Nantes ont alors estimé que cette pathologie présentait un lien suffisamment direct et certain avec l'entretien d'évaluation professionnelle pour être regardée comme un accident de service.
Aussi, la question posée au Conseil d’État était de savoir si un entretien d’évaluation professionnelle pouvait être qualifié d’accident de service, en dehors de tout exercice anormal du pouvoir hiérarchique, et alors même que les conséquences de l’entretien sur l’état de santé de l’agent sont indéniables ?
Le Conseil d’État répond par la négative.
En effet, la Haute juridiction commence par rappeler sa définition la plus récente de l’accident de service : « un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci » (CE, 6 février 2019, Mme P… c/ Caisse des dépôts et consignations, req. n° 415975).
Puis, il expose dans quelles conditions un entretien d’évaluation professionnelle pourrait être qualifié d’accident de service : « sauf à établir un comportement ou des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique (…), un entretien entre un agent et son supérieur hiérarchique ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, et ce, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent ».
Pédagogiquement, il précise ainsi les contours d’un exercice normal du pouvoir hiérarchique qui peut consister à « adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires ».
Ce faisant, le Conseil d’État confirme sa position en matière d’affection psychique, à savoir qu’un évènement ne saurait être qualifié d’accident de service en l’absence de circonstances particulières tenant aux conditions de travail de l’agent :
« sont (…) pris en compte des faits saillants, significatifs d’un incident ou d’un dysfonctionnement du service susceptible d’affecter l’état psychique de l’agent mais également les mesures éventuellement prises à cette occasion » (Conclusions sur l'arrêt CE, 24 octobre 2014, SIEP de Moirans, req. n° 362723) ;
« en jugeant néanmoins que la pathologie dont souffrait Mme O... devait être regardée comme étant imputable au service, alors que le dossier qui lui était soumis ne faisait apparaître aucune circonstance particulière, tenant à ses conditions de travail, susceptible de l’avoir occasionnée, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits de la cause » (Conclusions sur l'arrêt CE, 24 octobre 2014, SIEP de Moirans, req. n° 362723) ;
Aucune « des pièces du dossier (…) ne permettait d’identifier un incident ou un dysfonctionnement du service susceptible d’être regardé comme pouvant constituer la cause de la maladie » (CE, 1er février 2017, Cne de Cournon d’Auvergne, req. n° 396810).
Plus largement, le Conseil d’État a par là même précisé que toute situation professionnelle, tout entretien, n’est pas un « évènement » susceptible d’être qualifié d’accident de service. Une telle qualification doit être réservée aux cas où le service peut être regardé comme ayant dysfonctionné ou, à tout le moins, lorsqu’un fait notable est à relever.
Par conséquent, malgré qu’un entretien d’évaluation professionnelle ait été perçu par un agent comme violent et lui ait causé un trouble psychique, le juge ne le qualifiera d’accident de service que si le supérieur hiérarchique de l’agent a excédé les limites de son pouvoir, ce qu’il appartiendra à l’agent de prouver.
En l’espèce, le Conseil d’État a donc annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes qui avait qualifié à tort l’entretien d’accident de service, sans avoir établi un exercice anomal du pouvoir hiérarchique. Et, réglant l’affaire au fond, la Haute juridiction a rejeté la qualification d’accident de service au motif que les pièces du dossier n’établissaient aucun exercice anormal du pouvoir hiérarchique.
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