Que deviennent les congés annuels d’un agent public en cas de mutation entre deux administrations en cours d’année ? Beaucoup d’ « usages » sont évoqués, mais aucune règle juridique claire ne semble parfaitement répondre à cette question qui se pose pourtant très régulièrement dans la carrière d’un agent public.
Les trois décrets relatifs aux congés annuels des agents publics (décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat ; décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux ; décret n° 2002-8 du 4 janvier 2002 relatif aux congés annuels des agents des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière) sont parfaitement clairs sur un point : les droits à congés annuels d’un agent public sont calculés du 1er janvier au 31 décembre d’une année.
Par ailleurs, lorsque l’agent n’exerce ses fonctions que durant une partie de l’année, il est également constant dans ces textes que ses droits à congés annuels sont proratisés selon sa durée de présence.
Mais aucun de ces textes ne précise ce qu’il advient des congés annuels d’un agent public qui mute en cours d’année. L’agent doit-il solder les congés acquis au sein de l’administration d’origine avant sa mutation au sein de la nouvelle administration, ou bien les jours acquis sont-ils automatiquement transférés et pourront être utilisés après mutation ?
I – La solution, juridiquement certaine, du compte épargne-temps (CET)
Il est une solution juridiquement certaine et prévue par les textes : l’agent dont la mutation est prévue peut placer les jours de congés annuels cumulés dans son administration d’origine sur son compte épargne-temps (« CET »).
Les trois décrets relatifs aux CET dans la fonction publique (décret n° 2002-634 portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature ; décret n° 2004-878 du 26 août 2004 relatif au compte épargne-temps dans la fonction publique territoriale ; décret n° 2002-788 du 3 mai 2002 relatif au compte épargne-temps dans la fonction publique hospitalière) sont alors d’une clarté limpide : l’agent « conserve les droits qu’il a acquis au titre du compte épargne-temps » en cas de mutation, de changement d’établissement, de collectivité, etc…
La solution simple est donc, en cas de mutation, de placer les jours acquis au titre des congés annuels sur CET afin d’en assurer juridiquement le transfert au sein de sa nouvelle administration.
II – Le flou juridique des jours non placés sur CET
Mais la seule mention de cette solution juridiquement certaine ne résout pas la question du sort des congés annuels qui ne seraient pas placés sur CET en cas de mutation.
Étonnamment, le sujet est souvent traité dans la documentation relative à la fonction publique… Mais de manière totalement différente, et sans jamais aucune référence juridique précise.
Pour ne donner que quelques exemples, le Centre départemental de gestion de la fonction publique territoriale (« CDG ») de l’Eure indique ainsi, dans sa documentation relative aux congés annuels, que
« En cas de congé non pris, un fonctionnaire ne peut prétendre au versement d’une indemnité compensatrice et ce, en aucun cas. Ainsi, en cas de départ d’un agent de sa collectivité (démission, mutation, retraite), l’agent doit avoir soldé ses jours de congés annuels avant de partir. »
A l’inverse, le CDG de la Dordogne, dans sa documentation relative à la mutation, précise, s’agissant des conséquences de la mutation, que
« Les droits à congés annuels s'appréciant au regard des services accomplis sur une année civile, l'agent qui change de collectivité en cours d'année conserve les droits à congés de l'année en cours, qui lui seront octroyés par la collectivité d'accueil, après appréciation des nécessités de service. »
Le site gouvernemental d’information juridique service-public.fr dédie une page spécifique à la question, intitulée « Que deviennent les congés annuels d'un fonctionnaire qui change d'administration ? »
Mais, loin de trancher le débat, la Direction de l’information légale et administrative (éditrice du célèbre site d’information) indique, sans références juridiques, que les congés annuels pourraient être pris « indifféremment dans votre ancienne ou votre nouvelle administration », tout en précisant qu’il est « toutefois […] d’usage qu'avant de quitter son ancienne administration, un fonctionnaire y prenne tous les congés auxquels il a droit en fonction de sa durée de services dans cette administration. »
Faute de précision textuelle, ni même donc d’accord doctrinal sur le sujet, l’on pourrait se tourner vers la jurisprudence.
Mais il n’existe malheureusement pas, à notre connaissance, de décision de justice qui se soit expressément prononcée sur la question.
Tout au plus le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a-t-il pu refuser une demande de paiement, en référé-provision, d’une indemnisation liée aux congés annuels non pris dans le cadre d’une mutation d’une collectivité à une autre, visant notamment le fait que l’agent aurait pu placer lesdits jours sur son CET pour se les voir transférer au sein de la nouvelle collectivité (TA Nîmes, ord., 30 janvier 2024, M. B. c/ SDIS de la Lozère, req. n° 2304195).
Doit quand même être remarquée une décision du Conseil d’État qui précise que la mutation d’un agent public d’une administration à une autre constitue une situation de fin de relation de travail au sens de la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qui permet l’indemnisation des droits à congés non pris du fait d’une situation de maladie (CE, 7 décembre 2015, Communauté d’agglomération de Royan-Atlantique, req. n° 374743). La Haute Assemblée avait alors permis à l’agent qui, du fait d’un congé de maladie, n’avait pu prendre les congés annuels acquis dans les années précédant sa mutation, d’obtenir indemnisation de ces derniers.
Il ne nous semble pas que cette décision, prise spécifiquement dans le sens d’une interprétation de la directive européenne ouvrant droit à l’indemnisation des congés annuels non pris du fait d’une situation de maladie, puisse être étendue au point d’estimer que toute mutation constitue une fin de relation de travail coupant l’agent public des droits acquis au titre de la relation de travail qu’il vient ainsi de quitter (et donc que l’agent devrait nécessairement solder ses droits à congés avant toute mutation, à défaut de les placer sur son CET).
Il reste donc un réel flou juridique, rendant impossible l’affirmation d’un quelconque droit à bénéficier d’un « transfert » des droits à congés annuels acquis en cas de mutation d’un agent public.
Face à cette incertitude persistante ainsi exposée, il apparaît prudent, comme le suggèrent certains CDG (voir par exemple la documentation relative à la mutation du CDG de l’Eure-et-Loir), pour l’agent public dont la mutation approche :
· Soit de solder ses jours de congés annuels avant la date de mutation ;
· Soit de placer lesdits jours sur son CET ;
· Soit d’anticiper la question et de s’assurer d’un accord écrit de reprise des jours de congés annuels par l’administration d’accueil.