Les « personnes vulnérables » sont celles qui ont été identifiées, par le Haut conseil de la santé publique (HCSP) comme étant à risque de développer une forme grave de Covid-19.
La situation des personnes vulnérables dans la fonction publique est l’objet de nombreuses interrogations depuis le mois de mars dernier.
Les critères d’octroi du statut de « personne vulnérable »
Au mois de mai 2020, au cours de la « première vague » de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement avait posé les 11 critères de vulnérabilité qui, individuellement ou collectivement, permettaient d’accéder au statut « personne vulnérable » (Décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 définissant les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 et pouvant être placés en activité partielle au titre de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020), et donc, être placées en « activité partielle » (salariés) ou en « autorisation spéciale d’absence » (agents publics par analogie avec les salariés de droit privé opérée par diverses notes des directions ministérielles en charge des différentes fonctions publiques), à défaut de pouvoir télétravailler à temps plein.
Par un décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, le gouvernement avait tenté de réduire cette liste de vulnérabilités à 4 types d’affections, afin de réduire par là même, le nombre de salariés et d’agents « inactifs ».
Ces dispositions ont cependant été suspendues par le juge des référés du Conseil d’État (Ordonnance du 15 octobre 2020, req. n° 444425, 444916, 444919, 445029, 445030), qui a estimé que le Gouvernement n’avait pas suffisamment justifié, pendant l’instruction, de la cohérence des nouveaux critères choisis, notamment le fait que le diabète ou l’obésité n’avaient été retenus que lorsqu’ils étaient associés chez une personne âgée de plus de 65 ans. En effet, pour le Conseil d’État, il n’est pas possible d’exclure des pathologies ou situations qui présentent un risque équivalent ou supérieur à celles, maintenues dans le décret du 29 août 2020, qui permettaient toujours de bénéficier du chômage partiel.
Aussi, par un nouveau décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, le gouvernement a été contraint de rétablir la liste antérieure des personnes vulnérables.
Néanmoins, pour pallier cette « réouverture forcée » de la liste des vulnérabilités, le Gouvernement a, dans un second temps, choisi de modifier les modalités de prise en charge des personnes vulnérables.
Les modalités de prise en charge des personnes vulnérables
Au printemps 2020, la règle avait été immédiatement posée : les agents vulnérables ne devaient pas travailler en présentiel, le télétravail devant être priorisé. En cas d’absence de possibilité d’instaurer le télétravail, l’agent vulnérable devait être placé en ASA (ou activité partielle / chômage partiel pour les salariés de droit privé), avec maintien de la rémunération (« Questions-Réponses » de la DGAFP du 15 avril 2020 et du 23 avril 2020).
Une note de la DGAFP du 7 avril 2020, intitulée « Procédures de déclaration d’arrêts de travail pour garde d’enfant dans le cadre du Covid-19 et pour les agents présentant une ou plusieurs pathologies fixées par le Haut conseil de la santé publique ainsi que pour les femmes enceintes à partir du 3e trimestre » (et rééditée le 12 mai 2020) venait également rappeler les modalités de déclaration du caractère vulnérable d’un agent public : la mesure prise par l’employeur (télétravail ou ASA) pour un agent vulnérable était automatique, dès transmission par l’agent d’un certificat médical obtenu soit sur le site ameli.fr, soit par son médecin traitant.
Enfin, au jour du déconfinement, dans un Questions-Réponses intitulé « Sortie du confinement dans la Fonction publique » du 11 mai 2020, la DGAFP maintenait cette règle, sans date de fin, à l’issue du confinement : « Les agents répondant à l’un des critères de vulnérabilité définis par le HCSP doivent rester confinés chez eux. En l’absence de possibilité de télétravail, l’employeur public place en autorisation spéciale d’absence (ASA) les agents publics présentant une ou plusieurs pathologies arrêtées par le Haut conseil de la santé publique et, à titre préventif, les femmes enceintes à partir du troisième trimestre et les personnes âgées de 65 ans et plus ».
Toutefois, dans le cadre de la seconde vague de Covid-19 et du reconfinement, les priorités du gouvernement semblent avoir glissé de la préservation de la santé des personnes vulnérables à la préservation de l’activité économique et de la continuité, en présentiel, du service public.
En effet, aux termes du décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, le placement en « activité partielle » (pour les salariés) n’est désormais possible que s’il n’est pas possible de recourir au télétravail ou de bénéficier de mesures de protections renforcées, telles que l’isolement du poste de travail, l’adaptation des horaires, la mise à disposition de masques de type chirurgical etc.
Le même jour, et sur la base de ce texte, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a pris une circulaire rappelant les critères permettant l’identification des personnes vulnérables et posant les modalités d’organisation et de prise en charge de ces personnes vulnérables dans la fonction publique de l’État (Circulaire du 10 novembre 2020 relative à l’identification et aux modalités de prise en charge des agents publics civils reconnus personnes vulnérables).
Tout d’abord, il convient de relever que pour bénéficier de cette prise en charge, les agents doivent remplir deux conditions cumulatives :
Bénéficier d’un certificat délivré par un médecin traitant ;
Avoir sollicité une prise en charge en qualité de « personne vulnérable » auprès de leur employeur.
Ensuite, sur cette base, l’employeur doit placer l’agent en télétravail sur l’intégralité de son temps de télétravail.
En cas d’impossibilité de télétravail, la circulaire prévoit que l’administration doit mettre en place des aménagements afin que l’agent puisse reprendre son travail en présentiel (comme pour les salariés du privé : l’isolement du poste de travail, l’adaptation des horaires, la mise à disposition de masques de type chirurgical etc).
Enfin, ce n’est que si l’employeur estime être dans l’impossibilité d’aménager le poste de façon à protéger suffisamment l’agent, que celui-ci doit alors être placé en autorisation spéciale d’absence (ASA).
La seule mesure de « contrôle » de la décision de l’employeur est qu’en cas de désaccord entre l’employeur et l’agent sur les mesures de protection mises en œuvre, l’employeur doit saisir le médecin du travail / de prévention, qui rendra un avis sur la compatibilité des aménagements de poste avec la vulnérabilité de l’agent. En attendant cet avis, l’agent devra être placé en ASA.
Le 12 novembre suivant, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) a pris une note d’information analogue concernant la fonction publique territoriale, à ceci près qu’en cas d’impossibilité de télétravail ou d’aménagement du poste et avant un placement en ASA, la note indique que l’employeur a la possibilité de « réaffecter temporairement l’agent sur un autre emploi de son grade » (Note d’information DGCL du 12 novembre 2020).
Deux constats paraissent inéluctables à la lecture de ces nouvelles mesures.
Le premier est que l’ordre de priorité des « mesures de protection » des agents publics reconnus personnes vulnérables, défini par la DGAFP et la DGCL, paraît totalement incohérent. En effet, l’agent qui devrait être éloigné de son poste pour la protection de sa santé, peut être contraint à revenir sur son lieu de travail, si son employeur estime que le télétravail est impossible.
Le second est relatif à la réaffectation temporaire sur un autre emploi du grade. En effet, cette réaffectation temporaire apparaît contraire au statut de la fonction publique à plusieurs égards :
D’une part, le statut ne prévoit pas de « réaffectation temporaire », ce qui signifie que si l’agent est réaffecté pendant cette période, faute de réaffectation sur son ancien emploi, celui-ci deviendrait vacant et sa nouvelle affectation définitive ;
D’autre part, si le statut prévoit la possibilité de réaffecter un agent sur un autre emploi de son grade en cas d’inaptitude à ses fonctions, cette réaffectation est conditionnée au constat d’une inaptitude définitive de l’agent à ses fonctions. De plus, en pareille situation, l’agent dispose de nombreuses garanties procédurales que la circulaire du 10 novembre et la note d’information du 12 novembre n’offrent pas (saisine du comité médical, expertise médicale, avis du médecin de prévention etc.).
Enfin, le changement d’affectation peut être décidé par l’employeur, d’office, et dans l’intérêt du service. Néanmoins, il serait permis de s’interroger sur la réalité de l’intérêt du service en pareille hypothèse, dès lors que la motivation du changement d’affectation d’une personne vulnérable pourrait être uniquement d’éviter son placement en ASA.
Il faut également noter, comme nous l’avons rappelé à plusieurs reprises depuis le mois de mars, que, s’agissant en particulier de la fonction publique territoriale, la valeur juridique contraignante (tant pour les administrations territoriales que les agents publics territoriaux) des « notes d’information » de la DGCL demeure incertaine.
Reste à savoir si les agents ou les organisations syndicales du service public saisiront le juge administratif afin qu’il se prononce sur le caractère légal ou non de ces dispositions.
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