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Projet de loi de transformation de la fonction publique : l’extension des possibilités de recrutemen

Dernière mise à jour : 21 nov. 2022


Le projet de loi de transformation de la fonction publique sera adopté, dans sa version amendée, ce mardi 28 mai 2019, par l’Assemblée nationale, avant transmission au Sénat pour une deuxième lecture à partir du 11 juin prochain, pour une adoption avant la fin de l’été.

L’un des objectifs affichés du gouvernement par ce texte est de permettre le recrutement plus important d’agents contractuels dans la fonction publique, répondant, selon lui, à la nécessité de trouver de « nouveaux leviers permettant de répondre aux évolutions et transformations du service public en facilitant le recrutement des compétences nécessaires ». Pour ce faire, le gouvernement souhaitait que soient créées de « nouvelles marges de manœuvre » pour les encadrants en « étendant la possibilité de recourir au contrat, par dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents dans la fonction publique par des fonctionnaires. » [1]

Le projet de loi, dont l’essence même a été maintenue par les députés en première lecture, est un florilège de nouveaux cas d’ouverture des postes de l’administration aux contractuels : postes de l’encadrement supérieur des trois fonctions publiques (article 7), contrat de projet ouvert à tous les emplois de catégorie A et B (article 8), ouverture des emplois contractuels dits « nature et besoins » aux emplois de catégorie B et C (article 9 et 10) …

Cependant, les avocats de la fonction publique que nous sommes peinent à comprendre en quoi ces mesures seraient réellement issues des « attentes des employeurs publics » [1]. Conseillant depuis de nombreuses années les employeurs publics en matière de ressources humaines, nous sommes certes confrontés à des difficultés très spécifiques, relatives à la pérennité des recrutements sur des postes aux compétences techniques rares (tels les emplois dans le domaine de l’énergie ou des télécommunications [2]).

Les quatre titres du statut prévoient déjà pourtant des possibilités de recourir aux agents contractuels en pareils cas, qui restent, rappelons-le, relatifs à de rares métiers et compétences spécifiques.

Mais nous n’avons jamais été confrontés à un quelconque besoin des employeurs publics d’ouvrir davantage le recrutement aux contractuels.

Au contraire, le constat d’une difficulté de gestion des ressources humaines (GRH) avec les emplois déjà existants est bien plus prégnant. C’est d’ailleurs une analyse nettement confirmée par tous les observateurs de l’emploi public depuis plusieurs années : l’administration peine à avoir une gestion rigoureuse et efficiente de ses agents publics.

Le recrutement des agents contractuels est source de nombreux et coûteux contentieux, les administrations peinant à respecter les obligations en la matière, notamment en ne démontrant pas avoir recherché l’existence de profils de fonctionnaires, pourtant existants, qui correspondraient à ces besoins.

La Cour des comptes et les Chambres régionales des comptes (CRC) se faisaient tout récemment l’écho de ces difficultés dans les collectivités territoriales, largement transposables à la fonction publique de l’Etat et à l’hospitalière [3] : les magistrats financiers déplorent, sur ces dernières années, une réelle « insuffisance dans le suivi opérationnel des effectifs » et l’« absence de stratégie globale relative aux ressources humaines ou d’objectifs, en matière de recrutement ou de gestion des effectifs ».

Celle-ci concerne des administrations de tous types et de toutes tailles. La GRH des administrations, faute d’une véritable Gestion formalisée des personnels, des emplois et des carrières (GPEC), révèle un « recrutement d’agents au fil de l’eau, sans stratégie d’ensemble », confinant à des recrutements inopportuns.

Au-delà, tout comme les magistrats financiers, nous notons une explosion des contentieux liés aux conditions irrégulières d’emploi ou d’embauche des agents contractuels, notamment dans les emplois de direction. Conditions de rémunérations irrégulières, octroi d’avantages illégaux, non-respect des délais de vacances d’emploi ou des strates démographiques… sont d’autant de cas entraînant l’annulation immédiate des décisions de recrutement des agents contractuels, avec des conséquences lourdes compte tenu du caractère rétroactif des annulations et des délais de jugement.

Les magistrats financiers relèvent aussi que ce manque de gestion efficiente de la GRH a augmenté la précarisation des agents contractuels par le non-respect des obligations de « CDIsation » ou par les violations régulières des conditions de renouvellement des emplois de catégorie B et C.

Bien plus, les rapports d’observations des CRC relèvent régulièrement l’embauche d’agents contractuels sans besoin spécifique au regard des missions exercées, notamment dans des administrations de grande taille [4].

Cette situation entraîne des coûts importants pour les administrations, tant en termes de variations non maîtrisée des effectifs, que de contentieux. Elle tend également, par manque de vision d’ensemble et précise de celles-ci, à ne pas mettre à profit les compétences et les talents existants dans la fonction publique.

La solution aux difficultés rencontrées par les administrations relève en réalité d’une politique rigoureuse, prévisionnelle et globale des carrières et des emplois. Préconisée depuis des années par tous les experts du secteur, elle fait l’objet d’efforts louables de certaines directions des ressources humaines, mais encore trop peu systématiques. Ce constant d’absence d’évolution des méthodes faisait encore l’objet, en 2019, d’un rapport parlementaire appelant à l’intégration des nouveaux outils de GRH dans la fonction publique [5].

Il est ainsi étonnant de lire aujourd’hui que les administrations auraient besoin de diversifier les viviers de recrutement pour s’adjoindre des compétences nouvelles et fluidifier la gestion de leurs effectifs, et d’ouvrir un peu plus les possibilités de recrutement des contractuels…

Bien au contraire, l’ouverture de nouvelles modalités de recrutement, sans opérer cette révolution interne de gestion, risque d’accroître les difficultés mesurées.

Les nouvelles dispositions, tout en maintenant les conditions habituelles de recrutement (louables et nécessaires) ajoutent aux modalités de recrutement des agents contractuels celles d’un processus assurant l’égal accès aux emplois publics des agents contractuels (article 6 du projet).

Ces nouvelles modalités de recrutement ne constituent qu’un ajout aux risques d’illégalités et de mauvaise gestion des ressources humaines par la complexification qu’elles engendrent dans la prise en compte de multiples modes de recrutements soumis à des processus de contrôle accrus.

Pis, le risque d’absence de contrôle de la régularité des actes de recrutement à venir est de plus en plus grand, les services préfectoraux des contrôles de légalité étant de plus en plus débordés et de moins en moins dotés en personnels. Par ailleurs, la grande précarité des futurs contrats de projet conduira probablement peu d’agents illégalement recrutés à saisir le juge administratif du fait du coût des procédures…

Face à la somme croissante de fonctionnaires contraints d’opérer des mutations régulières pour suppression ou modification successives des compétences de leurs services [6], à la question, toujours d’actualité, des « reçus-collés » de la fonction publique territoriale, notamment dans l’encadrement supérieur [7], la hausse du recrutement, non maîtrisé, d’agents contractuels sur des emplois permanents, ne pourra qu’accentuer le constat de mauvaise gestion des emplois, laquelle se traduit toujours, par essence, par un coût financier important pour l’administration.

Ceci ne peut qu’appeler à modérer grandement les choix actuels d’un projet de loi de transformation de la fonction publique pour focaliser le travail des directions des ressources humaines sur la gestion efficiente des fonctionnaires et agents publics actuellement en poste, dont les compétences sont trop peu mesurées et sollicitées.

Par la formation des services RH, par l’augmentation des moyens juridiques et financiers pour permettre d’assurer de corréler les compétences et les métiers, le cas échéant en utilisant les modalités aujourd’hui bien encadrées du reclassement, les administrations pourront d’elles-mêmes régler les difficultés de recrutement actuelles sans risquer de nouveaux surcoûts ou de nouvelles errances, néfastes au moral, et, partant, à l’efficacité des agents en fonction [8].

Ayons confiance dans le vivier de compétences que représente l’ensemble des fonctionnaires !

[1] Exposé des motifs du projet de loi déposé à l’Assemblée nationale le 27 mars 2019.

[2] Emilien Batôt, « Le spectre de la vacance temporaire d’emploi technique devenu permanente », La Gazette des communes, 17 octobre 2016, p. 62.

[3] Hadi Habchi, « Gestion des ressources humaines dans les collectivités territoriales : les enseignements des rapports d’observations des CRC », JCP A n° 45, 12 novembre 2018, 2308.

[4] Voir par exemple CRC Haute-Normandie, RODG Commune du Havre, 7 décembre 2000 ; CRC ARA, RODG Communauté d’agglomération du Puy-en-Velay, 22 décembre 2015 ; CRC Nouvelle-Aquitaine, RODG Département de la Charente-Maritime, 11 juillet 2017.

[5] Arnaud de Belenet (sénateur), et Jacques Savatier (député), « Renforcer et optimiser la fonction et les outils RH des collectivités pour accompagner les transitions territoriales et professionnelles », Rapport remis au Premier ministre, 12 février 2019.

[6] On pensera, pour simple exemple, au tout récent décret n° 2019-505 du 23 mai 2019 relatif à l’instruction par des prestataires privés des demandes d’autorisation d’urbanisme, qui pourrait vider les services urbanisme de leurs agents par externalisation des compétences.

[7] Agathe Vovard, « Les administrateurs territoriaux s’inquiètent pour leur avenir », La Gazette des communes, 13 mai 2016.

[8] Bastien Scordia, « Dans les directions de Bercy, un moral en berne et une fragilisation de l’engagement », Acteurs Publics, 25 avril 2019.


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